Avants Propos
Zanzibar est sans doute le meilleur exemple du choc des civilisations : d'un côté, l'immense continent africain, conçu comme une inépuisable réserve de « bois d'ébène », et de l'autre, des aventuriers arabes, à la fois guerriers et commerçants, qui fuient la pauvreté de leur désert pour faire fortune au loin.
Dès le Xe siècle, des comptoirs s'établissent en Afrique de l'Est, sortes de terminus de pistes par lesquelles arrivent des convois d'esclaves, d'ivoire et de poudre d'or. Ces comptoirs vont devenir le creuset d'une civilisation originale, la culture swahilie, et donner naissance à une société métisse qui connaîtra, au cours des siècles, des épisodes prestigieux.
Mais contrairement à ce qui se passe en Afrique de l'Ouest, les maîtres arabes ne convertissent pas en masse les indigènes : il suffit, par exemple, de considérer « l'empire » que Tippu Tipp céda au roi des Belges, pour constater que l'islam y était inconnu (alors qu'en quelques dizaines d'années, les Européens vont convertir massivement sa population au christianisme).
Les Africains sont donc, de facto , définis comme LA marchandise.
Zanzibar, capitale du sultanat omanais, cet empire virtuel (il ne possède que des pistes marchandes traversant les territoires et en aucun cas des territoires au sens où l'entendent les occidentaux) cristallise la relation qu'a eue l'élite arabe avec le monde occidental.
Dès la fin du XVIIIe siècle, les Anglais vont assurer toutes les routes de leur empire des Indes : les émirats du Golfe, l'Océan Indien, le canal de Suez deviennent des enjeux stratégiques : dans un grand jeu séculaire et subtil, les marchands d'esclaves omanais vont être manipulés jusqu'à ce jour de 1964 où les descendants des esclaves, en une nuit, vont enfin tenir leur vengeance ; elle sera terrible.
Une sanglante révolution marxiste éclate. Le peuple balaye en quelques heures ses anciens maîtres. Ces violentes émeutes raciales et sociales ne s'adressent pas aux occidentaux. Le pouvoir et les richesses ont toujours été tenus par la classe dirigeante arabe, qui ne l'oublions pas a pratiqué l'esclavage pendant près de 10 siècles.
On peut se questionner ici aussi sur la réelle valeur humanitaire de l'abolition brutale de l'esclavage quand on sait que cela leur a permis de prendre le contrôle économique et le pouvoir, tout en laissant des milliers d'esclaves affranchis dans une pauvreté totale et sans avenir.
Le rapport ambigu qu'entretient la couronne britannique avec les sultans de Zanzibar et d'Oman révèle le sentiment qu'à cette minorité d'être perpétuellement manipulée par le sens de la politique anglo-saxonne dans le Moyen-Orient.
La politique arabe se retrouve en effet dans une sorte de mirage perpétuel où on lui fait miroiter la restauration de son pouvoir hégémonique perdu, définitivement brisé par la destruction de Bagdad (1) par les Mongols en 1258.
Sentiment d'humiliation donc pour cette élite qui a brusquement tout perdu en une nuit, comme si tout son empire n'était en fait qu'une illusion :
celle du Royaume perdu des Arabes.
Zanzibar, cette île minuscule à l'histoire tellement riche, est un résumé de l'histoire du colonialisme, de ses jeux cruels, dont les échos, aujourd'hui, nous permettent de mieux comprendre le monde où nous vivons.
Des bâtiments tels que "le Palais des Merveilles" du Sultan Omanais Barghash, la maison de Tippo Tip, le plus puissant marchand négrier, celle de John Kirk, qui fut le bras droit du Sultan Barghash, pour ne citer que ceux-là, sont des témoins uniques de la richesse de cette civilisation.
Filmer ces monuments menacés de disparition est un des éléments clés de notre documentaire
La révolution sanglante qui éclata en 1964 a été le tournant politique déterminant et inattendu de Zanzibar. Révolte des Noirs Africains contre les oppresseurs Arabes et Indiens. Véritable massacre ethnique, cette revendication des descendants d'esclaves prend toute son importance dans une île où le commerce du "bois d'ébène" en a fait la fortune. Des documents filmés exceptionnels : émeute, élections, mouvements d'oppositions, influence chinoise, etc. reflètent la violence de cette époque.
L'islam, qui n'a jamais été imposé par l'épée sur la côte swahilie, s'est étendu au cours des contacts sociaux et commerciaux. A Zanzibar, il a surtout servi de ciment entre les peuples mais il ne pourra endiguer les conflits ethniques..
En développant principalement ce chaos né de l'héritage de la politique britannique, notamment avec l'abolition de l'esclavage, nous nous attacherons à comprendre les rouages politiques et historiques qui ont amené cette révolution.
L'empire omanais était déjà sur son déclin quand les sultans s'allièrent avec la Grande-Bretagne. L'élite arabe dont la richesse provenait principalement de la vente d'esclaves et du clou de girofle, n'a jamais construit de stratégie politique à long terme. Elle ne pouvait rivaliser face à une stratégie britannique qui se jouait sur plusieurs siècles. Les images d'archives du jubilé du Sultan bin Harub, de la visite de la princesse Margaret en 1956 ou encore de l'intronisation du sultan Abdullah bin Khaliffa illustreront ces relations.
En axant notre propos sur le rapport ambigu qu'entretenait les Anglais avec la classe dirigeante arabe, en évoquant les conséquences directes de cette politique, c'est plus de 1000 ans d'histoire qui s'offre à nos yeux.
La matière filmique du documentaire sera majoritairement des prises de vues de l'île qui seront articulées autour d'un commentaire politique et historique, en voix off, enrichie d'archives (filmées ou sonores).
Cet angle va permettre de développer pleinement un matériau riche, tant historiquement que visuellement, sans oublier de nous faire prendre conscience du colonialisme impérialiste occidental dont on trouve les répercussions partout dans le monde.
Beaucoup de problèmes actuels, à la fois dans le Monde Arabe et en Afrique, sont nés, dans les années 60, à Zanzibar.
(1) Construite en 762, Bagdad fut la première ville du monde islamique. Elle est le symbole de l'apogée intellectuelle arabe avec le développement des mathématiques et l'introduction du zéro.
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