LE CONTEXTE
Bal Thackeray, leader de Shiv Sena, l’un des groupes fondamentalistes hindous de
droite les plus puissants d’Inde, aurait un jour déclaré que Deepa Mehta était la
personne qu’il haïssait le plus au monde.
Thackeray est un adversaire puissant et dangereux. Après enquête judiciaire, il fut
désigné comme le provocateur des foules hindoues frénétiques qui en 1992,
brûlèrent des maisons et des magasins Musulmans et tuèrent 1200 personnes à
Bombay.
Deepa Mehta en tant que réalisatrice, remet en question les interprétations des
Textes Sacrés donnés par les actuels dirigeants hindous, et en particulier ceux en
rapport avec la condition des femmes. Cela ne pouvait que susciter la colère de cet
homme.
Leur premier affrontement date de 1998, à l’occasion de la sortie du film Fire, le 1er
récompensé de sa trilogie sur les éléments. Il fut suivi de Earth en 1999 et enfin de
Water en 2005.
Les Shiv Sainiks de Thackeray (les membres de Shiv Sena) se livrèrent à des actes
de violence lors d’une projection matinale de Fire à Bombay, brisant les vitres,
brûlant les affiches… en ayant pris soin d’alerter les médias avant et de constituer un
groupe d’action « politiquement correct », mélangeant hommes et femmes. Le
lendemain, des théâtres à New Delhi, Pune et Surat furent attaqués de la même
manière.
« Est-il juste de montrer de telles choses, alors qu’elles ne font pas parties de la
culture Indienne ? », demanda Bal Thackeray lors d’une interview à un magazine. « Cela peut corrompre les esprits faibles. C’est comme un SIDA social »
Thackeray faisait référence à la relation homosexuelle entre les deux personnages
féminins principaux du film « Fire », un genre de relation qu’il affirme ne pas exister
en Inde.
Tous les journaux indiens et d’autres à travers le monde tel que le New York Times
ont rapporté ces évènements, et permis ainsi à Thackeray d’atteindre son objectif : être perçu comme le protecteur de la foi Hindoue.
La Cour Suprême ordonna que des troupes soient rassemblées pour protéger les
théâtres et que des gardes armés soient affectés à la protection de la réalisatrice.
Malgré cela, les propriétaires des cinémas furent trop effrayés pour reprogrammer
Fire qui est ainsi devenu le DVD pirate le plus vendu en Inde.
Le second affrontement entre Mehta et les fondamentalistes hindous commença en
l’an 2000 lorsqu’ une bande d’émeutiers attaqua et brûla les plateaux de la
production de Water et proféra des menaces de mort contre la réalisatrice et les
actrices Shabana Azmi et Nandita Das.
Ces affrontements furent organisés par le RSS, une faction fondamentaliste hindoue étroitement proche des positions du Shiv Sena, et branche culturelle du BJP, le parti
au pouvoir à cette époque à New Delhi.
Le gouvernement indien réprouva publiquement cette atteinte à la liberté
d’expression et fournit 300 troupes pour protéger la production et renforcer la
protection autour de Mehta. Cela ne découragea pas les opposants au film qui, bien
organisés, avaient un espion dans les bureaux de la production et trouvèrent un
moyen de mettre les téléphones portables du producteur et de la réalisatrice sur écoute.
Durant 2 semaines, la production tînt bon à Bénarès, sollicitant le soutien du
gouvernement et des autorités religieuses locales, mais en vain. Des effigies de
Deepa Mehta étaient brûlées quotidiennement dans les villes à travers tout le pays,
chacun de ces événements étant largement couvert par les médias indiens qui
nourrissaient ainsi les objectifs des auteurs des crimes. Finalement, suite à la
tentative de suicide d’un contestataire qui avait sauté dans le Gange en signe de
protestation, le gouvernement interrompit le tournage pour des raisons de « sécurité
publique ».
Durant cette période, des marques de soutien arrivèrent du monde entier : George
Lucas prit notamment une page entière de publicité dans Variety pour encourager
Deepa à poursuivre le combat.
Malheureusement rien de tout cela n’eût d’impact sur les fondamentalistes radicaux
ou le gouvernement local.
Il fallut presque 5 ans pour relancer la production de Water, et le film fut finalement
tourné au Sri Lanka, sous un faux titre et dans le plus grand secret.
Water se déroule dans une maison pour les veuves hindoues, dans une Ville Sainte
de l’Inde de 1938 et beaucoup affirment que les conditions de vie des personnages
décrites dans le film ne sont plus celles d’aujourd’hui. C’est malheureusement faux,
et la volonté des fondamentalistes de droite de cacher partiellement cette réalité,
explique les attaques vicieuses dont ont été victimes la production et la réalisatrice.
Le film est désormais terminé, mais la bataille avec les fondamentalistes est loin de
l’être. Mehta continue de recevoir des appels anonymes d’hommes et de femmes qui
lui conseillent « amicalement » de ne pas sortir le film en Occident, où le public ne
pourrait pas comprendre la complexité de l’ordre social et religieux qui existe en Inde.