L'Invaincu (Aparajito)
Synopsis
Dans la suite de La Complainte du sentier (Pather Panchali), Apu a 10 ans et il est installé avec sa famille à Bénarès. Sur les escaliers qui dominent le Gange, son père gagne désormais sa vie en lisant des textes sacrés. Suite au décès inattendu de ce dernier, sa mère décide alors de retourner vivre à la campagne. Devenu un élève brillant, Apu décroche une bourse et part étudier à Calcutta, laissant sa mère déchirée par le chagrin.
L'Invaincu (Aparajito), deuxième volet de la Trilogie d'Apu, est l'histoire simple d'un jeune adolescent assoiffé de sciences. Entre émerveillement et profonde tristesse, Satyajit Ray accède toujours à la vérité dans les instants du quotidien dépouillés de tout oripeau mélodramatique, mais il ne se refuse pas à intensifier, voire à transcender l'émotion humaine.
Ce grand film poétique, Lion d'or à Venise en 1957, permit à Satyajit Ray de conquérir ses lettres de noblesse, le plaçant dans la lignée des grands humanistes tels que Renoir ou Flaherty.
Conforté par le succès de La Complainte du sentier, Ray quitte son agence de publicité pour produire et réaliser dans des conditions normales L'invaincu. Même si le budget reste bas, il s'entoure des meilleurs professionnels, une équipe cohérente, dont certains le suivront toute sa carrière (Subrata Mitra, chef opérateur, qui était photographe de plateau sur le film Le Fleuve de Renoir, Dulal Dutta, monteur de tous ses films…).
L'Invaincu est le film de la Trilogie qui contient le plus de références autobiographiques : la mort brutale du père, l'amour des livres, l'atmosphère de l'imprimerie où travaille le jeune Apu... Dès le début du film, les dessins naïfs sur les murs de Bénarès évoquent l'univers des livres d'enfants que Ray a jadis illustrés, ils suggèrent aussi Alice qui avance dans un monde nouveau et inconnu, poussée par la curiosité, et excitée par la découverte. Tout le film est construit autour de cette idée d'envol, de la fascinante et douloureuse séparation avec l'enfance. Ray se sent proche de son personnage, il a lui aussi connu très jeune le décès de son père, et comprend parfaitement la relation mère-fils qui s'instaure, le désir d'émancipation de l'enfant et la douleur de la mère.
Le film est plus dur et moins lyrique que La Complainte du sentier ou Le Monde d'Apu mais la psychologie des personnages y est plus fouillée. « J'ai été absolument bouleversée par la personnalité de mon personnage - dira Karuna Banerjee, l'interprète de la mère - Tout me paressait si naturel. Chaque mot, chaque regard, chaque petit mouvement, le profond attachement envers l'enfant qui la rejette, tout cela grandissait en moi comme les feuilles sur la branche d'un arbre. Poétique, non ? Pourtant c'est exactement ce que je ressentais. »
L'Invaincu est mal accueilli au Bengale, on lui reproche ses modifications par rapport au roman de Bibhutibhushan Banerjee. Le public est choqué par le comportement de l'adolescent qui préfère aller à la ville continuer ses études au lieu de rester au chevet de sa mère. Une attitude trop éloignée des notions conventionnelles d'amour et de générosité de la mentalité indienne. Mais c'est aussi ce qui intéresse Ray, toute l'ambivalence de la mort qui aussi triste et dure soit-elle, permet l'émancipation du jeune garçon.
Si le film n'a pas le succès attendu, il place néanmoins Ray sur la scène internationale, le Lion d'Or à Venise en 1957 le distingue parmi les grands cinéastes mondiaux. C'est certainement le film de Ray le plus apprécié par ses successeurs bengalis comme Ritwik Ghatak et Mrinal Sen.
analyses et critiques
« Deuxième volet de la trilogie d’Apu (non prévu au départ et tourné grâce au succès du premier film Pather Panchali). Les personnages sont transplantés dans divers lieux : Bénarès, un village, Calcutta. A cause de cela, le film est placé sous le signe d’un certain appauvrissement de leur vie sociale et familiale. Mort du père, exil, séparation : Satyajit Ray décrit, avec une douceur infinie et une émotion discrètement sublimée, les épreuves que vivent ses héros. Cinéaste doué au plus haut point du « génie du lieu », il exprime aussi dans leur variété les ambiances, les atmosphères de ces sites nouveaux pour eux. A travers toute la durée du film et plus spécialement dans sa dernière demi-heure, l’accent est mis sur une relation mère-fils ayant, dans la présence comme dans l’absence, une rare intensité. Sollicitude inquiète et parfois jalouse de la mère. Egoïsme instinctif d’Apu, soudain corrigé (scène du retour de la gare) par une préscience de la souffrance maternelle. Moins riche en faits et en personnage que Pather Panchali, Aparajito possède une ligne mélodique extrêmement pure et attachante. Dans le mouvement inexorable de la succession des générations et d’un certain progrès social (Apu a la chance de pouvoir étudier et choisir clairement cette voie), les personnages font l’expérience, non de la plénitude (qui caractérise, elle, le style de l’auteur) mais de la solitude et de la frustration affective. » Jacques Lourcelles, Dictionnaire du Cinéma.
« Apu a 10 ans. Il vit à présent à Bénarès, où son père gagne un peu d’argent en lisant les textes sacrés sur les chats, au bord du Gange. Les trains, comme des rêves de départ, passent sur l’immense pont qui enjambe le fleuve. Le père meurt. Grâce aux sacrifices de sa mère, Apu parviendra à devenir étudiant à Calcutta. Ray réussit ce miracle d’allier la contemplation au mouvement. » Claude-Marie Trémois, Télérama.
Au point de vue cinématographique l'ouvrage se rattache plus ou moins directement au néo-réalisme italien. L'action, ce que nous avons l'habitude d'appeler l'" action ", est réduite au strict minimum. Elle se développe sous la forme d'une lente et minutieuse chronique de la vie du héros. Le moindre incident, le moindre détail, est mis en valeur. On ne nous fait grâce d'aucun geste, d'aucune parole. Quand une porte est ouverte il faut que nous la voyions se refermer. Quand un mendiant tend sa sébile, nous comptons avec lui sa monnaie... De ce foisonnement de notations naît une poésie qui dépasse le simple réalisme et qui, à plusieurs reprises, nous entraîne assez loin. On ne peut nier que cette histoire envoûte comme une mélopée. La peine et l'espoir des hommes s'y trouvent puissamment chantés.» Jean de Baroncelli, Le Monde