Dans un pays et une époque indéterminés, il existe une zone interdite, fermée et gardée militairement. On dit qu'elle abrite une chambre exauçant les désirs secrets des hommes et qu'elle est née de la chute d'une météorite, il y a bien longtemps. Les autorités ont aussitôt isolé le lieu, mais certains, au péril de leur vie, bravent l'interdiction. Leurs guides se nomment les «stalker», êtres déclassés, rejetés, qui seuls connaissent les pièges de la zone, en perpétuelle mutation…
« Le personnage principal connaît des moments de désespoir, quand il doute de sa foi. Mais il retrouve toujours un sens renouvelé à sa vocation de servir les autres, ceux qui ont perdu leurs espoirs et leurs illusions. Il était d'une importance primordiale pour moi que le scénario observe une unité de temps, d'espace et d'action.
(…) Dans Stalker, je ne voulais pas de rupture de temps entre les plans. Le temps, et son écoulement, devait se révéler et exister à l'intérieur même du plan, et le montage des plans marquer le progrès de l'action, rien de plus, sans déviation de temps, et sans remplir aucune fonction de sélection ou d'organisation dramatique du matériau. Tout devait apparaître comme si le film n'avait été tourné qu'en un seul plan. Cette approche simple et ascétique offrait, me semblait-il, d'immenses possibilités. J'ai épuré le scénario pour ne plus avoir qu'un minimum d'effets extérieurs. Je ne voulais pas, c'était un principe, distraire ou étonner le public par des changements inattendus de la scène, de la géographie de l'action, du sujet de l'intrigue. Je n'aspirais qu'à la simplicité et à la discrétion de toute l'architectonique du film.
J'ai essayé, de manière encore plus conséquente, de faire comprendre au spectateur que le cinéma, en tant qu'instrument de l'art, possède, autant que la littérature, des possibilités qui lui sont propres. J'ai voulu lui démontrer la capacité du cinéma à observer la vie, sans ingérence évidente ou grossière dans son écoulement. Car c'est la que réside, à mon avis, la véritable essence poétique du cinéma.
Je craignais, toutefois, qu'une simplification excessive de la forme ne parût artificielle ou affectée. Pour réduire ce risque, j'ai tenté d'éliminer dans les plans toutes les touches nébuleuses ou incertaines, qui trop souvent passent pour la marque d'une « atmosphère poétique ». Pourquoi s'appliquer à constituer péniblement ce genre d'atmosphère, alors qu'il était clair pour moi qu’il ne fallait même pas s'en préoccuper ?
Une atmosphere est quelque chose qui découle de l'idée centrale de l'auteur. Plus la formulation de cette idée centrale est fidèle, plus le sens de l'action est clair, et plus l'atmosphère tout autour sera signifiante. Les objets, les paysages, les intonations des acteurs, commenceront tous alors à résonner de cette note centrale. Tout deviendra interdépendant et indispensable. Chaque chose fera écho à une autre, tout s'interpellera, et il en résultera une atmosphere, comme conséquence de cette capacité à se concentrer sur le principal. Alors que vouloir créer une atmosphere en tant que telle, me parait une chose étrange. C'est d'ailleurs pourquoi je ne me suis jamais senti proche de la peinture impressionniste, dont l'objectif était de saisir l'instant, l’éphémère pour lui-même. Ce peut être un moyen, mais pas un objectif de l’art. Dans Stalker, où j'ai tenté de me concentrer sur l'essentiel, l'atmosphère qui en a découlé entre-temps est apparue, me semble-t-il, comme plus active et plus émotionnellement contagieuse que dans tous mes films précédents. »
Andreï Tarkovski,
extrait de Le Temps Scellé, Ed. Cahiers du Cinéma
« Réaliser un film de presque trois heures en ne mettant pratiquement en scène que trois personnages était une gageure que Tarkovski gagne haut la main. L’intelligence et la complexité de son propos (un propos qui dépasse largement la métaphore politique ou sociologique), la puissance d’une mise en scène dont une bande son remarquablement travaillée accentue le caractère envoûtant, font de Stalker un monument. Un monument où l’imaginaire débouche sur une sorte de morale de la destinée, et qui donne à réfléchir autant qu’à voir et à rêver. »
jean de Baroncelli, Le Monde
« Un grand film humaniste qui démarre à la façon d’un récit de science-fiction : dans un futur indéterminé, un phénomène inexplicable a provoqué la mutation d’une partie de la planète. Le reste ressemble davantage à de la métaphysique teintée de poésie : il existe au cœur de ce territoire mystérieux une Chambre à réaliser les désirs où des curieux, guidés par des passeurs appelés stalkers, tentent de pénétrer. Pas d’astronefs, ni de rayons laser donc, mais un itinéraire spirituel où, comme dans ses précédents films, Tarkovski (cinq films en vingt ans) touche du doigt quelques-uns des grands mystères de la vie. Ainsi Stalker, film unique qui exige beaucoup du spectateur, affirme t-il le génie de son auteur au–delà des idéologies ? »
Georges CHARENSOL, Les Nouvelles Littéraires
« Voici l’un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. L’un des plus difficiles, aussi. Parce qu’il exige de ses spectateurs, pas seulement l’attention, ce qui est déjà beaucoup, mais l’attente. L’entente. Au-delà du temps. Il s’agit simplement (mais est-ce si simple ?) de s’abandonner à ce film étrange, de lui céder – comme on cède à une flambée d’amour de respirer au même rythme que lui. Alors, seulement, le miracle peut s’accomplir. La Zone peut apparaître à chacun de nous. Et le film peut commencer. (…) Stalker se respire surtout avec le cœur et l’âme. Je défie n’importe qui de garder les yeux secs, lors de la confession que le « Stalker » adresse à tous les indifférents au monde. Stalker c’est la poésie de ce long travelling qui remonte le cours de l’eau pour aboutir à la main d’un homme épuisé. C’est aussi l’étrangeté de ce dénouement digne de la nouvelle qui a inspiré le film (…). C’est enfin, clairement énoncée à la face de tous les peuples, cette profession de foi magnifique :« L’homme, en venant au monde, est faible et souple. Quand il meurt, il est fort et dur. L’arbre qui pousse est tendre et souple. Devenu sec et dur, il meurt. La dureté et la force sont compagnons de la mort. La souplesse et la faiblesse expriment la fraîcheur de la vie. Ce qui est dur ne vaincra jamais ». Stalker est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre.
Pierre MURAT, Télérama
« Science-fiction. Cauchemar métaphysique. Acte de foi. Acte d’amour. Cette œuvre d’une richesse inouïe s’impose dès le début par une invention dans les images, une rigueur dans la réalisation, une inspiration à tous les niveaux qui en font un incontestable chef-d’œuvre. C’est à coup sûr pour le moment et sans doute pour longtemps le plus grand film qui ait été présenté à Cannes. »
Robert CHAZAl, France Soir
« Ce film fut le film surprise de Cannes. Mais il a fallu des ruses diplomatiques proprement orientales pour obtenir la projection de Stalker, le dernier film de Tarkovski, dissimulé par les autorités soviétiques, refusé pour toute les manifestations à l’étranger, et que la Mostra de Venise avait imprudemment annoncé en première mondiale. Or, Stalker est un choc. Il confirme l’importance de son auteur, dont chaque œuvre se présente comme un dialogue avec les cinéastes les plus grands : Andreï Roublev répond à Eisenstein, Solaris à Kubrick, Le Miroir à Fellini, Stalker à, pour sa part, la nudité et le désespoir des films de Bergman. Mot inventé à partir de l’anglais « to stalk » (s’approcher furtivement), accompagne, dans un proche futur, un savant et un écrivain vers une zone lointaine où s’accomplissent tous les désirs des hommes. Récit de science-fiction, conte philosophique, voyage initiatique, Stalker réussit le prodige, pendant 2h40, de nous intéresser à trois personnages et à leurs dialogues socratiques revus par le théâtre de l’absurde. Tarkovski a conçu lui-même les décors, murs suintants, eaux croupissantes, grillages, pour évoquer le monde carcéral d’où s’échappent les voyageurs. Le territoire où ils se réfugient se révélant, en fin de compte, le lieu d’un autre exil. Inscrit en compétition, Stalker eût probablement bousculé le palmarès. En boycottant les Jeux cannois, les autorités soviétiques ont rendu, sans le vouloir, un fier service au cinéma occidental. »
Michel CIMENT, L’Express
Andrei Tarkovski est né le 4 avril 1932 à Zavroje, au bord de la Volga, près d'Ivanovo, Arseni Tarkovski, son père, est un poète connu (dont on entend des vers dans Le Miroir et Stalker). Après des études de musique, de peinture et d'arabe, le jeune homme travailla d'abord comme géologue en Sibérie en 1952 avant d'entrer à l'école de cinéma d'état le VGIK de Moscou. Un de ses professeurs fut le cinéaste Mikhail Romm. En 1956, l'étudiant Tarkovski signait, Les tueurs, un court sujet en noir et blanc, inspiré de la nouvelle d'Hemingway puis, en 1959, un autre exercice d'école Il n'y aura pas de départ aujourd'hui. En 1960, c'est Le rouleau compresseur et le violon, moyen métrage en couleurs.
La carrière de Tarkovski, brève du fait de la maturation et de la réalisation très lente des films et de sa mort prématurée, doit beaucoup aux festivals cinématographiques européens, L'enfance d'Ivan a partagé avec Journal Intime, de Valerio Zurlini, le Lion d'or du festival de Venise 1962 et Jean-Paul Sartre défendit le film, que certains critiques italiens taxèrent de formalisme et de préciosité. Puis Cannes accueillit en 1969 Andrei Roublev, écrit comme les deux titres précédents par Tarkovski et son ami Andrei Mikhalkov-Konchalovsky : une fresque de trois heures sur un peintre d'icônes, qui aura attendu deux ans et demi pour parvenir à un festival, les autorités soviétiques inquiètes de ce film hors-normes prétextant qu'il n'était "pas terminé!". Avec son prix de la critique internationale, le film fit connaître son auteur dans le monde entier.
En 1972, Cannes encore montra Solaris, d'après le roman de science-fiction de Stanislas Lem, et c'est un Prix spécial du jury. En 1974, Tarkovski tournait Le Miroir, présenté quatre ans plus tard lors de l'éphémère festival de Paris, dont il fut un des événements même si critiques et spectateurs furent parfois déroutés par ce qu'ils appelèrent, faute de mieux, "l'hermétisme" de cette œuvre quasi-autobiographique.
En 1980, Stalker, le film-surprise du festival de Cannes, y remportait un grand succès critique. Les Soviétiques n'autorisèrent pas le cinéaste à venir en France pour la sortie du film, deux ans plus tard. Par contre, ils le laissèrent partir à Londres, en 1981, pour monter "Boris Godounov", l'opéra de Moussorgsky, au Covent Garden puis en Italie, en 1982, pour préparer avec le scénariste Tonino Guerra Nostalghia, coproduction italo-française avec participation soviétique. Ces préparatifs seront le sujet d'un moyen métrage pour la télévision, Tempo di viaggio. Le film achevé, poème sur l'exil et la nostalgie, à travers le voyage en Italie d'un écrivain russe, reçut à Cannes en 1983 le Grand Prix du cinéma de création, partagé avec L'Argent de Robert Bresson.
Pour le cinéaste, l'exil commençait également : il resta en Italie avec son épouse et collaboratrice Larissa et se battit pour que puisse le rejoindre le reste de sa famille, ce qui se produira début 1986, avec le soutien de cinéastes, intellectuels et hommes politiques occidentaux, mais surtout à cause de l'arrivée de Gorbatchev aux affaires. A ce moment, le cinéaste terminait Le Sacrifice, co-production franco-suédoise à participation britannique. Déjà gravement affaibli par un cancer, Tarkovski ne put venir à Cannes en 1986 et l'émotion fut grande lorsque son fils reçut à sa place le Grand Prix spécial, lors de la cérémonie de clôture.
Andrei Tarkovski est mort à Paris le 29 décembre 1986, sans avoir eu le temps de percevoir ce que les changements en U.R.S.S. auraient pu lui apporter, ni celui d'approfondir une œuvre d'inspiration très ample, où les motifs religieux devenaient de plus en plus présents.
1995 Tempo di viaggio
1986 Le sacrifice
1983 Nostalghia
1979 Stalker
1974 Le Miroir
1972 Solaris
1966 Andreï Roublev
1962 L'Enfance d'Ivan
1960 Le Rouleau compresseur et le Violon (moyen-métrage)
1959 Ce soir nous ne quitterons pas nos postes
1957 Les Assassins (court-métrage)
Les acteurs
Alexandre Kaïdanovski | le Stalker |
Anatoli Solonitsyne | l'écrivain |
Nikolaï Grinko | le physicien |
Alissa Freindlich | la femme du stalker |
Scénario | Arkadi et Boris Strougatski, d'après leur roman Pique-nique au bord du chemin |
Photo | Alexandre Knyajinski |
Direction artistique | Andreï Tarkovski |
Musique | Edouard Artemiev |
Poèmes | Arseni Tarkovski et Fiodor Tiouttchev |
Réalisation | Andreï Tarkovski |
Distribution | Films Sans Frontières |