Une oeuvre maitraisse
LE SALON DE MUSIQUE est une des œuvres maîtresse de ce maître qu'est Satyajit Ray, souvent fêté en Occident, mais contesté (à tort et à raison à dans son propre pays. Le parallèle qu'on a pu dresser entre ce film et LE GUEPARD de Visconti (de cinq ans postérieur), est parfaitement judicieux, même si le film de Ray ressemble à un « film de chambre » par rapport à la fresque viscontienne. Même contraste entre l'ancien et le nouveau, entre l'aristocratie déclinante et la bourgeoisie d'affaires ascendante, entre le Maharajah et le commerçant parvenu.
Avant tout, Satyajit Ray pose le problème de cette transition sociale en termes culturels, et surtout musicaux, et c'est la musique qui lui sert de catalyseur : pour la Maharajah, donner son ultime concert est un moyen de s'affirmer en fournissant à un art séculaire, et de transmission orale, une occasion d'exprimer sa supériorité presque « aristocratique » par rapport à la culture dégénérée qui est celle des Indiens d'aujourd'hui.
Peu importe si cette dernière cérémonie entraîne la ruine, puis la mort de l'aristocratie déchue, pourvu qu'à ses yeux le coup de grâce ait été donné au représentant méprisé de la classe bourgeoise, le marchand, dont les prétentions irritent le Maharajah jusqu'à provoquer le concert lui-même.
Ray multiplie d'ailleurs les symboles du contraste et de la déchéance – l'éléphant improductif et le camion du rival « Ganguli and Co », l'opposition entre les chandeliers hérités des anglais et l'électricité, ou l'araignée sur le tableau du père, au moment où le Rajah s'enorgueillit de son ascendance et de son sang. L'important, c'est la musique, qui enveloppe le film et lui donne une vie sonore, dominée par le chatoyant concert, et culminant avec la performance de la danseuse de Katakhali, dont l'art extraordinaire fascine les convives.
Impossible de ne pas être envoûté par la musique de Ustad Villayet Khan, de ne pas saisir toute la portée du film à travers ses notes les plus discrètes : le film devient un immense « râga du soir ». Nostalgie de Ray, certes, pour une culture qui se meurt, doublée du désir de la fixer sur le support relativement durable de la pellicule.
Max Tessier
Ecran – Février 1979