Dans le Japon des années 50, à Gion, quartier des plaisirs de Kyoto. Après le décès de sa mère ancienne geisha et afin d'échapper à son oncle ivrogne, la jeune Eiko décide de devenir « Maiko », geisha de haut niveau. Elle demande à une célèbre geisha, amie de sa mère, Miyoharu, d'assurer sa formation. Pour cela, cette dernière doit s'endetter auprès d'Okimi, femme influente propriétaire d'une maison de thé.
DEUX PAPILLONS COMME MONAIE D’ECHANGE
«Que nous apporte Les Musiciens de Gion [Gion Bayashi] par rapport à son prédécesseur de 1936, Les Sœurs de Gion ? Deux choses principales :
La surdétermination économique y est beaucoup plus précise. Elle était même absente des Sœurs. La définition du rôle social des geishas fait un formidable bond qualitatif. Certes, la notion de « marchandises » apparaissait dans le langage d’Omocha mais restait symbolique. La geisha n’était marchandise que pour elle-même. Elle devient concept.
Le récit connait une résolution. Mizoguchi ne le laisse pas en suspens. Apparait ainsi ce qui se précisera dans les deux films ultérieurs consacrés à la prostitution moderne : la nécessité de composer (ce qui ne veut pas dire accepter !). La pure contestation, l’aspiration à un « ailleurs » demeurent stériles. Entre l’acceptation et la négation, également impossibles, une autre position doit être trouvée. Une femme dont on parle et La Rue de la Honte, certes de façon différente, apporteront leurs réponses.
Ici, nous l’avons vu, le Moi s’accepte comme un être dissocié, portant son idéal tout en subissant la dépréciation du monde. L’aliénation, ainsi vécue comme extériorité, n’en est pas moins réelle. Mais l’intériorité affirme sa permanence et même sa progression par l’effet de cette aliénation elle-même. De 1936 à 1953, le saut qualitatif est certain.
Le héros mizoguchien ne le laisse toujours pas dominer par le « monde ». Il s’oppose à lui de toute la puissance de sa volonté. Différente ténue, simple état d’esprit, mais qui est la force même du devenir. Le sujet affirme sa suprématie sur l’objet. Dans La Rue de la Honte, la tendance inverse commence à se faite jour. Cette fois, l’affectivité elle-même n’est plus que leurre ou marchandise. Avec l’amour s’éteint sans doute la racine de la vie en tant que « puissance de la volonté ».»
Daniel SERCEAU
Extrait de « Mizoguchi : de la révolte aux songes »
Ed. du Cerf / Coll. 7ème ART
LES MUSICIENS DE GION
«Quoi de plus beau que l’histoire d’un corps de jeune fille qui se drape des plus belles apparences, embellit sous nos yeux, et devient peu à peu l’esclave de l’image trop délicieuse et des vêtements trop séduisantes dont elle se pare ? Le corps, c’est celui de Eiko, fille d’une geisha décédée et d’un commerçant ivrogne, qui demande à une autre geisha amie de la famille, Miyoharu, de l’aider à devenir comme elle. Studieuse, Eiko apprend l’art de plaire et revêt le plus beau des kimonos pour séduire son premier client. Résistant aux avances de l’homme, elle lui mord violemment la langue et, en compagnie de Miyoharu, se voit exclue de toutes les maisons de la ville. Ruinées et désespérées, la révolte passée et les larmes séchées, les deux jeunes femmes reprennent leur tenue de geisha et rejouent le jeu fatal de leur triste métier. Remake des Sœurs de Gion décrit l’itinéraire d’une jeune fille qui peu à peu s’oublie elle-même. Mizoguchi nous montre un corps qui, niant sa nature profonde, subit l’épreuve d’une régénération (toutes les scènes de l’école où l’on apprend aux jeunes filles comment s’habiller et se mouvoir), d’une redéfinition érotique déterminée par le désir masculin, qui transforme la femme en modèle dans un défilé d’apparences où on lui demande seulement d’être sensuellement convaincante. Les apparences prennent alors le pouvoir et empêche la femme d’être elle-même. Pur objet de désir, elle n’a plus qu’à se soumettre au cérémonial toujours recommencé de la courtisane, avec ses codes, ses mouvements précis, ses poses et son exhibitionnisme mécanique. Se révoltant l’espace d’un instant (la morsure de la langue), le corps lutte contre ce devenir-robot qui le dévore ; la petite Eiko ne cassera pas deux fois la marionnette qui est en elle. Traquenard inévitable, le revêtement des apparences est pour les femmes de passage obligé qui garantit leur incursion dans l’espace où l’homme (donc l’argent) est roi. Avec les Musiciens de Gion, la femme chez Mizoguchi n’a plus le choix et doit pactiser avec la réalité inacceptable de sa condition pour espérer survivre. Face à cette résignation obligée, le constat du cinéaste est d’une cruauté totale.»
C.A. – Cahiers du Cinéma
LES ILLUSIONS PERDUES D’UNE GEISHA
«L’une derrière l’autre, deux femmes trottinent à pas menus dans les ruelles obscures, étroites et droites. La première, Miyoharu, est la plus élégante et la plus sobrement vêtue. Eiko, la seconde, plus jeune, à la chevelure tout en fleurs et, derrière son kimono, un ostentatoire nœud de soie. L’heure est au crépuscule ; à moins que, ce ne soit l’aube… Les deux femmes, richement parées, vivent en animant la nuit le quartier de plaisir de Kyoto. Elles sont geishas. On ne verra jamais la pleine lumière dans Les Musiciens de Gion. Ambiance nocturne, noir et blanc feutré, tout en ombres grisées : dès le début du film, le mystère plane sur le destin des geishas. Où finit leur génie de la séduction, où commence la prostitution ?
Dans le Japon des années cinquante déjà très industrialisé et toujours féru de tradition, ces dames d’ancestrale culture, dressées à la musique, à la danse, au chant, à la conversation, restent les hôtesses préférées des plus efficaces hommes d’affaires. Leur apprentissage est rude. En une succession de plans rapides, très découpés (les seuls du film), Mizoguchi montre combien il leur faut briser toute personnalité, et jusqu’au rythme de leur corps, pour séduire. Toute une manière de vivre à réinventer.
Eiko n’a accepté cet entraînement inhumain que parce qu’elle rêvait d’être la plus noble des geishas. Mais l’idéal de la jeune fille se heurte vite au mur de l’argent. Pour payer son premier kimono, sa protectrice Miyoharu a dû emprunter une fortune à la patronne des plaisirs de Gion. Celle-ci lui fait comprendre que si elles veulent continuer à travailler, les femmes devront rembourser en nature : Miyoharu, qui ne s’était jamais abandonnée que par amour, finit par céder.
Et les illusions d’Eiko s’évanouissent. Et elle accuse Miyoharu de ne pas lui avoir dit la vérité sur son métier. Les deux femmes, que liait une tendresse de mère à fille, s’entredéchirent. Puis dans l’admirable scène finale, tout en cris et chuchotements, elles décident de se soutenir par la force de leur amour mutuel. Il leur permettra de dresser une barrière contre la société mercantile qui les réduit à des objets. Si elles ne peuvent changer le monde pourri, elles peuvent au moins le dominer par l’élévation de leurs sentiments. Sublimer.
A l’aube, côte à côte, de dos, les deux geishas trottinent à pas menus. C’est le dernier plan de Les Musiciens de Gion ; Miyoaharu et Eiko sont maintenant égales, sœurs. A coup de renonciation, elles se sont forgées une autre liberté.
Pourtant dans les dédales de la cité crépusculaire, traquées jusqu’à l’obsession par la caméra de Mizoguchi pour elles, rien n’est résolu. Comme tous les personnages-clés du cinéaste (O-Haru femme galante, L’Intendant Sansho, Les Amants crucifiés) Miyoharu et Eiko ont à tenir un équilibre impossible entre leurs rêves et la réalité pervertie. Elles vivent en funambules, tout peut toujours basculer. Et si le film fascine, c’est bien parce qu’il ne livre aucune solution, ne se termine pas, reste en suspension. Le pari des songes dans la vie-labyrinthe est sans cesse à réinventer.
Jamais, dans la centaine de longs métrages qu’il a réalisés de 1922 à 1956, Mizoguchi n’aura plaqué de schéma final réducteur. Ce n’est pas pour rien que l’adepte de « one scene, one cut » détestait briser le rythme de sa caméra. Ses plans-séquences géants, tournés en une seule prise, l’aident à maintenir une tensions sans rupture entre les acteurs. Passant lentement d’un corps à l’autre, Mizoguchi crée une atmosphère d’angoisse et de fragilité. Eloignés les uns des autres par son goût immodéré de la profondeur de champ, ses personnages semblent à jamais solitaires, décalés. On raconte que sur les tournages, il faisait aussi régner un climat d’inquiétude irrespirable.
Sans doute n’est-ce pas pour rien que Mizoguchi a toujours été inspiré par l’univers féminin. Les femmes sont les plus faciles à terroriser, et obligées de composer avec le réel qui les opprime depuis des siècles, elles sont les héroïnes-types de la lutte à mener pour survivre. Des Symboles-clés de l’énigme d’exister.»
Fabienne Pascaud - Télérama
Enfance et formation
Mizoguchi est né le 16 mai 1898 à Tokyo, dans le quartier populaire de Bunkyo-Hongo. Son père, Zentaro, est menuisier-charpentier. Sa mère, Masa, est d'une famille modeste d'herboristes. Il a une sœur, Suzu, de sept ans son aînée, puis un frère, Yoshio, mort de manière prématurée. En 1904, au début de la guerre contre la Russie, son père se lance dans une entreprise commerciale, espérant ainsi sortir de la pauvreté : la fabrication de manteaux en caoutchouc pour l'armée japonaise. Quand il est prêt à les commercialiser, la guerre est terminée et il fait faillite. Yoda, l'ami scénariste de nombre de ses films, raconte cet épisode.
La famille doit s'installer dans un quartier encore plus populaire, Asakusa, prés du temple de Senso-ji, fréquenté par les petits commerçants, les acteurs d'un théâtre voisin et les geishas. C'est dans ce quartier que Kenji fréquente l'école primaire. Son camarade de classe, Matsutaro Kawaguchi, est devenu un auteur de renom : adapté pour le cinéma, un de ses romans, L'Arbre de l'amour, a été un des grands succès du cinéma japonais. Mizoguchi avoue ne pas avoir été un bon élève. Il préférait fréquenter le parc d'Asakusa, les théâtres et les cinémas, où il a appris son métier.
Le sort de sa sœur, Suzu est bien différent. À l'âge de 14 ans, elle a été vendue à une maison de geishas après la faillite du père. Mizoguchi en a toujours voulu à ce dernier. Ce drame familial a cependant été une source d'inspiration pour certains de ses films (par exemple Les Musiciens de Gion). Finalement, un riche aristocrate s'éprend de la jeune fille et l'épouse. Suzu a toujours aidé les siens.
À cause de la pauvreté de la famille, Kenji ne fait pas d'études. En 1913, grâce à l'aide apportée par sa sœur, il entre comme apprenti chez un fabricant de yukata (kimonos légers), dont il dessine les modèles. Il développe un goût certain pour le dessin et fréquente l'institut Aoibashi, dirigé par Seiki Kuroda, le peintre qui fait connaître l'impressionnisme au Japon. C'est aussi l'époque où il découvre la littérature japonaise et occidentale (Maupassant, Tolstoï, Zola, entre autres).
Quand sa mère meurt en 1915, Mizoguchi, atteint depuis plusieurs années de rhumatismes, se rend à Kobe sur les conseils de sa sœur. Il y travaille pour un journal. C'est une période importante de sa vie, car ses centres d'intérêt commencent à prendre forme. Il fonde un cercle littéraire, publie des poèmes et entre en contact avec le « Gandhi japonais », Toyohiko Kagawa, organisateur d'un mouvement qui s'inspire à la fois du christianisme et du socialisme.
En 1918, nostalgique de Tokyo, il quitte Kobe. Il connaît alors une période d'incertitude. C'est à cette époque qu'un ancien camarade d'école lui fait rencontrer Tadashi Tomioka, acteur des studios Nikkatsu, l'une des plus anciennes compagnies de cinéma du Japon. Ce dernier le présente à un réalisateur (Osamu Wakayama), et très rapidement Mizoguchi devient assistant réalisateur. Nous sommes en juin 1920.
Les années Nikkatsu (1921-1932)
L'industrie cinématographique japonaise n'est pas encore très développée. Elle est dominée par deux compagnies, la Nikkatsu et la Kokkatsu. La première a une production culturelle traditionnelle fondée sur un style simple : plans moyens filmés en continu, de façon à réduire le montage au maximum. Sous l'influence du cinéma américain, d'autres compagnies voient le jour et cherchent à introduire un peu de modernité. Elles engagent des actrices (auparavant les hommes tenaient tous les rôles) et, au début des années 30, elles ne font plus appel aux benshi (personnes qui racontaient l'histoire dans les salles). Cette décennie voit donc une profonde transformation du cinéma japonais.
En octobre 1922, Mizoguchi entre dans l'équipe de Eizo Tanaka, qui cherche à tout prix à moderniser l'esprit de la Nikkatsu. Certains réalisateurs importants la quittent. C'est dans ce contexte que Tanaka propose à la direction de confier à Mizoguchi la réalisation du film Le jour où revit l'amour, librement inspiré de Résurrection de Tolstoï. Le film a pour sujet un thème que Mizoguchi reprendra dans nombre de ses œuvres (comme dans Les Contes de la lune vague après la pluie : un homme doit expier une faute commise envers une femme. La censure impose de couper certaines scènes de révolte paysanne en l'accusant de soutenir une idéologie prolétarienne).
Il ne reste que deux films parmi les quarante-sept réalisés par Mizoguchi pour la Nikkatsu, Chanson du pays natal (1925) et Le Pays natal (1930), plus quelques fragments (une vingtaine de minutes) de son premier film parlant, La Marche de Tokyo (1929). La grande majorité des films de cette époque sont des mélodrames adaptés d'œuvres littéraires ou de pièces de théâtre. Ils privilégient des histoires sur le monde de la petite bourgeoisie, commerçants et artisans modestes. Ils évoquent l'atmosphère des quartiers populaires de l'époque et développent de tragiques histoires d'amour de personnages féminins : filles mères, épouses, amantes, geishas. Notons qu'un nombre non négligeable de ces films sont inspirés de la littérature étrangère.
1923 est aussi l'année du tragique tremblement de terre (1er septembre) qui détruit une grande partie de Tokyo, faisant plus de 100 000 morts. L'activité de la Nikkatsu est transférée à Kyoto, qui devient du coup le Hollywood japonais. Après une adaptation difficile à cette nouvelle réalité, Mizoguchi finit par s'habituer au climat plus détendu de l'ancienne capitale, au point d'y rester, presque en permanence, jusqu'à la fin de sa vie.
Grâce à ses premiers films, il devient l'une des chevilles ouvrières du renouveau de la Nikkatsu. L'arrivée aux studios d'un des rénovateurs du théâtre japonais, Minoru Murata, influence quelques films de Mizoguchi. Homme de droite, Murata l'amène à traiter des sujets imprégnés par le climat nationaliste qui se développe dans le pays.
Le 29 mai 1925 se produit un drame dans la vie de Mizoguchi. Quelques mois plus tôt, il a eu le coup de foudre pour une « employée » de club de nuit, Yuriko Ichijo. Elle abandonne le club et s'installe chez lui. Ils ont des rapports tumultueux, car Yuriko accepte mal que Mizoguchi passe de nombreuses soirées dans les clubs de la ville. Le soir du 29 mai, une querelle plus violente, causée semble-t-il par la décision de Mizoguchi de rompre avec elle, se termine par des coups de couteau de son amante. L'incident fait la une des journaux, et la direction de la Nikkatsu suspend le réalisateur pour quelques mois. Cette histoire semble avoir fortement marqué Mizoguchi. Il reprend son travail avec une énergie renouvelée, devient encore plus perfectionniste, et ses personnages féminins se chargent d'une force que dissimule mal le masque délicat de leur visage.
En août 1926, il épouse Chieko Saga, une danseuse de music-hall. Mizoguchi fait alors une rencontre décisive, Fusao Hayashi, un écrivain de littérature prolétarienne qui se donne comme objectif l'amélioration des conditions de vie de la classe ouvrière. Ce courant se retrouve dans un certain nombre de films japonais comme La Marche de Tokyo ou La Symphonie d'une grande ville, tous deux réalisés par Mizoguchi en 1929. Le style de Mizoguchi s'affirme, avec ses plans longs, la pronfondeur de champ, qui permet deux niveaux de regard, le travail sur les ombres, le hors-champ, les mouvements de caméra.
Les années de transition
En 1932, il quitte la Nikkatsu et obtient un contrat plus avantageux avec une jeune maison de production, la Shinko Kinema, pour laquelle il réalise quatre films en deux ans, dont La Fête de Gion (1933). Il traite aussi avec la Shochiku, mais finit par opter pour une troisième solution : en 1934, avec son ami producteur Masaichi Nagata, il participe à la fondation d'une maison de production, la Daiichi Eiga, à Kyoto. Ces deux années constituent un tournant dans l'histoire du Japon. En 1932, les militaires prennent le pouvoir, marquant ainsi un virage à droite pour le pays. C'est aussi l'année de la conquête de la Mandchourie. En 1933, le Japon se retire de la Société des Nations.
Ce sont les années où le cinéma sonore se développe. Il cesse d'être artisanal, se modernise, et la chaîne production-distribution-exploitation s'inverse, donnant un rôle prépondérant à des hommes d'affaires sans lien avec le cinéma. Ils prennent la direction de la Nikkatsu. Ce renversement, qui limite la liberté des réalisateurs, explique la fondation de la Daiichi.
En mars 1935, Mizoguchi rencontre le scénariste Yoshikata Yoda, qui devient son collaborateur le plus fidèle. Mizoguchi lui propose d'adapter un roman de Saburô Okada dont l'action se situe à Osaka. Leur collaboration se révèle fructueuse et, dès 1936, le film Naniwa Hika (L'Élégie d'Osaka) obtient un succès critique, bien que la censure conduise le distributeur à se contenter d'une sortie prudente. La même année, Les Sœurs de Gion connaît aussi un succès public. Ces deux films devaient faire partie d'une trilogie de réalisme social. Le troisième volet n'a pas abouti à cause de la faillite de la Daiichi. Les thèmes majeurs de l'œuvre de Mizoguchi sont alors en place, en particulier son attention sur la femme victime d'une société patriarcale tout entière dominée par l'argent.
En 1937, Mizoguchi collabore avec la Shinko, pour laquelle il tourne L'Impasse de l'amour et de la haine. Puis il refuse une proposition de la Toho, nouvelle maison de production dont les critères de rationalisation lui font craindre de ne pas avoir la liberté de création à laquelle il aspire. La fin de la Nikkatsu, absorbée par la Shochiku, est un exemple de concentration favorisée par le pouvoir afin de mieux contrôler l'industrie cinématographique.
Avec le début de la guerre sino-japonaise, les conditions de travail des cinéastes japonais deviennent de plus en plus difficiles. En juillet 1938, le gouvernement incite le cinéma à se détourner des thèmes individualistes, des comportements occidentaux, pour privilégier la tradition familiale, le respect de l'autorité, l'esprit de sacrifice, au nom des exigences de la nation. La censure se fait plus pesante dès l'écriture de scénario. Mizoguchi lui-même est contraint de tourner un film qui exalte le patriotisme, Roei no Uta (1938).
En 1939, il passe à la Shochiku, pour laquelle il réalise une trilogie consacrée à la vie des acteurs de théâtre. Certains considèrent ces films comme une « évasion » par rapport aux pressions officielles. Le premier est un des sommets de l'œuvre de Mizoguchi : Les Contes des chrysanthèmes tardifs. Les deux autres, La Femme d'Osaka, La Vie d'un acteur, sont perdus.
L'entrée en guerre du Japon avec le bombardement de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, accentue le contrôle de l'État sur le monde du cinéma. Si un studio refuse de se soumettre aux règles de la censure, il peut être fermé et tout son personnel envoyé au front. C'est dans ce contexte qu'en 1941 la Shochiku lui propose d'adapter un grand classique, Les 47 Rônins. Cette œuvre a fait l'objet de multiples versions cinématographiques. Celle de Mizoguchi, sortie en 1942, est la meilleure.
Pendant ces années, Mizoguchi assume des responsabilités officielles. En 1939, il est membre du Conseil du cinéma ; en 1940, il devient président de l'Association des réalisateurs, ce qui lui permet de participer ès qualités aux célébrations du 2600ème anniversaire de la fondation de l'Empire du Japon. En 1942, il est directeur de l'Association du cinéma japonais.
Pendant le tournage des 47 Rônins, un grave événement survient dans la vie privée de Mizoguchi : la maladie mentale de sa femme. Personne sur le plateau n'est au courant, ce qui selon Yoda montre à quel point Mizoguchi était un travailleur infatigable. À cause de ce drame, son beau-frère s'enrôle dans l'armée, et il meurt à la guerre. Mizoguchi s'est toujours occupé des deux enfants qu'il laissait et de sa veuve.
L'après-guerre et la consécration
Après la défaite, avec l'occupation américaine, le cinéma japonais doit abandonner tout ce qui valorise la tradition féodale (les films historiques, appelés « jidaigeki ») et se tourner vers des sujets à caractère démocratique exaltant la place de l'individu, le rôle de la femme dans la société, critiquant l'autoritarisme, le fascisme. Les Américains favorisent aussi la mise en place de syndicats dans toutes les branches du cinéma.
L'après-guerre s'ouvre pour Mizogushi par un film sur la libération de la femme (La Victoire des femmes, 1946, écrit par Kaneto Shindo) et un deuxième, la même année (Cinq femmes autour d'Utamaro), qui, à bien des égards, constitue un « autoportrait » du cinéaste en artiste. C'est en même temps une admirable réflexion sur la place de l'artiste dans la société, son rapport à la création et ses relations avec les femmes. À partir de ce film, la carrière de Mizoguchi est jalonnée de chefs-d'œuvre.
Pendant les dernières années de l'occupation militaire américaine, il réalise trois films adaptés de grands romans du XIXe siècle. Leur sujet est centré sur des femmes déchirées entre leurs sentiments, leurs désirs et les obligations morales et sociales. Ce sont Le Destin de Madame Yuki (1950), Miss Oyu et La Dame de Musahino (1951). En 1950, il abandonne la Shochiku pour la Shintoho, puis, en 1951, il rejoint la Daei, pour laquelle il réalise presque tous ses films jusqu'à sa mort, à l'exception de La Dame de Musahino et La Vie d'Oharu, femme galante (1952), produits par la Toho.
La Vie de O-Haru, femme galante remporte le prix de la mise en scène à la Mostra de Venise. Ce fut alors le début d’une consécration internationale. Il fut adulé par la critique française, voyageant aux Etats-Unis et en Europe. Reconnu internationalement comme un des maîtres de cinéma japonais, il mourut atteint d’une leucémie le 24 août 1956 à Kyoto.
Ayant derrière lui plusieurs chefs-d’œuvre et une œuvre d’une grande cohérence artistique, avec son sens de la beauté réaliste, il demeure l’un des plus nobles représentants du cinéma japonais.
REALISATEUR :
LA RUE DE LA HONTE (1956)
L'IMPÉRATRICE YANG KWEI FEI (1955)
LE HEROS SACRILEGE (1955)
UNE FEMME DONT ON PARLE (1954)
LES AMANTS CRUCIFIES (1954)
L'INTENDANT SANSHO (1954)
LES MUSICIENS DE GION (1953)
LES CONTES DE LA LUNE VAGUE APRES LA PLUIE (1953)
LA VIE D'OHARU, FEMME GALANTE (1952)
MISS OYU (1951)
LA DAME DE MUSASHINO (1951)
MADEMOISELLE OYU (1951)
LE DESTIN DE MADAME YUKI (1950)
FLAMME DE MON AMOUR (1949)
LES FEMMES DE LA NUIT (1948)
L'AMOUR DE L'ACTRICE SUMAKO (1947)
LA VICTOIRE DES FEMMES (1946)
CINQ FEMMES AUTOUR D'UTAMARO (1946)
L'EPEE DE BIJOMARU (1945)
MUSASHI MIYAMOTO (1944)
LES 47 RONINS (1941)
CONTE DES CHRYSANTHEMES TARDIFS (1939)
L'IMPASSE DE L'AMOUR ET DE LA HAINE (1937)
LES SOEURS DE GION (1936)
L'ELEGIE D'OSAKA (1936)
LA CIGOGNE EN PAPIER (1935)
OYUKI LA VIERGE (1935)
LES COQUELICOTS (1935)
LE FIL BLANC DE LA CASCADE (1933)
LE PAYS NATAL (1930)
LA CHANSON DU PAYS NATAL (1925)
Les acteurs
Ayako Wakao | Eiko |
Michiyo Kogure | Miyuharo |
Ichirô Sugai | Saeki |
Eitaro Shindo | Sawamoto |
Seizaburo Kawazu | Kusuda |
Chieko Naniwa | Okimi |
Haruo Tanaka | Ogawa |
Emiko Yanagi | Kaname |
Réalisateur | Kenji Mizoguchi |
Scénario | Yoshikata Yoda |
Montage | Tastuko Sakane |
Photographie | Minoru Miki |
Directeur musical | Ichirō Saitō |
Producteur | Kyûchi Tsuji |
Distribution | Films Sans Frontières - Visa N°57492 |