Dans une banlieue déshéritée de Mexico, El Jaïbo, échappé d'une maison de correction, retrouve sa bande. Ensemble, ils agressent un aveugle et dévalisent un cul-de-jatte. Mais El Jaïbo veut avant tout se venger de Julian, qu'il accuse de l'avoir dénoncé. Accompagné du jeune Pedro, El Jaïbo attire Julian dans un traquenard et le tue. Seul témoin du meurtre, Pedro va alors désespérément tenter de retrouver le droit chemin...
En 1950, pour les rares cinéphiles qui se souviennent encore des œuvres révolutionnaires que furent L'âge d'or et du Chien andalou, Luis Buñuel est un nom qui appartient au passé du 7ème Art. Pourtant, ce cinquantenaire à moitié sourd, souvent perclus de douleurs, exilé et oublié de tous, va connaitre, par la grâce d'un seul film, une renaissance artistique sans précédent dans l'histoire du cinéma.
Après une quinzaine d'années passées à travailler en France, en Espagne et aux Etats-Unis, principalement comme superviseur de doublage, Buñuel quitte Los Angeles en 1946 pour le Mexique à la demande du producteur Oscar Dancigers pour qui il réalise une comédie musicale, Gran Casino. Echec commercial cuisant, le film lui permet néanmoins de découvrir un pays proche de ses racines. Sa tête étant mise à prix dans l'Espagne franquiste, le Mexique devient alors sa nouvelle patrie.
Quand Dancigers lui propose un nouveau film en 1949, Buñuel applique une méthode de travail qui deviendra pour lui la norme. Le tournage est préparé avec un soin maniaque, les plans chronométrés et le moindre centimètre de décor contrôlé. Buñuel dépasse rarement deux prises par plan, et utilise quatre fois moins de pellicule que ses collègues. Le montage est bouclé très rapidement, le film étant déjà pratiquement assemblé.
Le grand noceur est un succès et permet à Buñuel d'envisager l'avenir plus sereinement. Dancigers lui accorde, pour deux ou trois films commerciaux, de lui financer une œuvre plus personnelle. L'idée de filmer la face cachée d'une métropole hantait Buñuel depuis plusieurs années - il avait déjà pensé à un sujet sur les clochards des égouts de Los Angeles. Pendant plusieurs mois, il sillonne les bidonvilles de Mexico et en ramène la trame de ce qui deviendra Los olvidados. S'estimant encore cinéaste débutant, Buñuel s'adjoint les services d'un directeur de la photographie prestigieux, Gabriel Figueroa, qui a été l'élève du légendaire Gregg Toland, la "lumière" de Citizen Kane.
Le tournage se déroule en 18 jours, au mois de février 1950. Très vite, l'équipe manifeste son hostilité au film qui dépeint un visage du Mexique que beaucoup voudraient oublier. Certains techniciens démissionnent. Mais Buñuel tient bon et ne change pas d'un iota sa vision pessimiste et violente des bas fonds de Mexico. De plus, alors qu'on pouvait s'attendre a un traitement narratif strictement néo-réaliste sur les traces de Rossellini et De Sica, Buñuel imprègne le récit d'imagerie freudienne et d'obsessions surréalistes.
D'abord projeté à un cercle d'amis, Los olvidados est accueilli froidement. Dancigers commence à regretter de l'avoir produit, persuadé que ce sera un échec. Le film sort finalement un jeudi de novembre. Les réactions sont si violentes que le samedi suivant, Los olvidados est retiré de l'affiche et mis au rebut. Mais à la suite d'une projection privée que Buñuel organise a Paris, Octavio Paz, alors secrétaire à l'Ambassade du Mexique en France, écrit un texte pour défendre le film. Ce dernier sera sélectionné au Festival de Cannes en mai 1951. Aux yeux de la critique, Los olvidados symbolise la résurrection artistique d'un artiste que l'on croyait disparu. Le film reçoit le prix de la mise en scène, et est distribué avec succès aussi bien en France qu'aux Etats-Unis. Dancigers le ressort alors à Mexico où il tiendra l'affiche plusieurs semaines, ouvrant la voie à la véritable carrière mexicaine de Buñuel, qui sera ponctuée d'œuvres phares telles que La vie criminelle d'ArchibaId de la Cruz.
Dix ans plus tard, Luis Buñuel sera de nouveau l'artiste par qui le scandale arrive quand Virdiana raflera la Palme d'Or à Cannes, provoquant à la fois les foudres de la censure espagnole et du Vatican, et prouvant à quel point "le cinéma est une arme magnifique et dangereuse quand c'est un esprit libre qui le manie".
Formé par les jésuites puis à l'université de Madrid, où il fonda en 1920 un ciné-club, il vient à Paris étudier à l'Académie du cinéma. Il est assistant de Jean Epstein pour Mauprat et La chute de la maison Usher. Associé au peintre Salvador Dali, il tourne un court métrage, Un chien andalou, qui fait sensation (main pleine de fourmis, œil coupé au rasoir, scènes érotiques). Le scandale vient avec L'âge d'or, chef-d'œuvre du cinéma surréaliste. Parlant du Chien andalou, Buñuel écrivait : « la foule imbécile a trouvé beau ou poétique ce qui, au fond, n'est qu'un désespéré, un passionné appel au meurtre. » Aucune inquiétude à avoir avec L'âge d'or, placé sous le patronage de Sade et de Lautréamont. Une œuvre subversive que symbolisait la scène du tombereau et une exaltation de l'amour fou. L'Action française vint manifester lors des projections et le film fut interdit par la censure. Las Hurdes, qui suivit, était un terrifiant documentaire sur les paysans d'un petit village voués à l'ignorance et à la misère.
Entre 1933 et 1935, Buñuel travaille pour des compagnies américaines. La guerre civile qui éclate en Espagne le bouleverse. Il collabore à un documentaire pro-républicain, Madrid 36, puis passe aux Etats-Unis. Les projets qu'il élabore à Hollywood n'aboutissent pas et il se voit contraint d'accepter des besognes alimentaires.
En 1947, il est au Mexique. Il reprend une activité de réalisateur. Los olvidados, présenté à Cannes, rappelle qu'il est toujours un grand réalisateur. Ses films suivants El et Archibald de la Cruz sont pleins de référence à Sade, à la religion, à la bourgeoisie évoquant L'âge d'or. Buñuel n'a pas changé. Subida el cielo est un film surréaliste. Nazarin marque l'apogée de la période mexicaine de Buñuel, dont on retiendra aussi les adaptations de Robinson Crusoé et des Hauts de Hurlevent au sombre romantisme.
Un bref retour en Espagne avec Viridiana qui obtient la palme d'or au Festival de Cannes 1961. On ne comprendra jamais comment le gouvernement de Franco a pu autoriser la production de ce film dont les clochards, dans un plan fameux, parodiaient la Cène. Le film fut interdit en Espagne. La dernière période de l'œuvre de Buñuel est surtout marquée par sa collaboration avec Jean-Claude Carrière. Films d'une forme plus classique adoptant souvent le principe d'une suite de sketches et tournant souvent à la pochade. Quel meilleur exemple que Cet obscur objet du désir, où Bunel fait voler en éclats le thème du roman de Pierre Louys, La femme et le pantin ? Le personnage de Conchita est joué par deux actrices qui ne se ressemblent pas, l'une a visage de madone, l'autre terriblement sensuelle. Les situations n'aboutissent pas ou s'achèvent sur une pirouette. On a l'impression que Buñuel s'amuse de bout en bout dans ce film. En réalité, ne nous y trompons pas, les savoureux dialogues de La voie lactée, les fantasmes érotiques de Catherine Deneuve dans Belle de jour, la satire des conventions bourgeoises dans Le charme discret de la bourgeoisie : L'âge d'or est toujours là. Rarement une œuvre a offert autant d'unité.
1928 UN CHIEN ANDALOU
1930 L'AGE D'OR
1932 LAS HURDES (TERRE SANS PAIN)
1936 MADRID 36 (coréalisation)
1946 GRAN CASINO
1949 EL GRAN CAVALERA (LE GRAND NOCEUR)
1950 LOS OLVIDADOS
SUSANA (SUSANA LA PERVERSE)
1951 LA HIJA DEL ENGANO (DON QUINTIN L'AMER)
UNA MUJER SIN AMOR (UNE FEMME SANS AMOUR)
SUBIDA AL CIELO (LA MONTEE AU CIEL)
1952 EL BRUTO (L'ENJOLEUSE)
LAS AVENTURAS DE ROBINSON CRUSOE (ROBINSON CRUSOE)
1953 ABISMOS DE PASION (LES HAUTS DE HURLEVENTS)
LA ILUSION VIAJA EN TRANVIA (ON A VOLE UN TRAM)
1954 EL RIO Y LA MUERTE (LE RIO DE LA MORT)
1955 ENSAYO DE UN CRIMEN (LA VIE CRIMINELLE D'ARCHIBALD DE LA CRUZ)
1956 LA MORT EN CE JARDIN
1958 NAZARIN
1959 LA FIEVRE MONTE A EL PAO
1960 THE YOUNG ONE (LA JEUNE FILLE)
1961 VIRIDIANA
1962 EL ANGEL EXTERMINADOR (L'ANGE EXTERMINATEUR)
1963 JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE
1965 SIMON DEL DESIERTO (SIMON DU DESERT)
1966 BELLE DE JOUR
1969 LA VOIE LACTEE
1970 TRISTANA
1972 LE CHARME DISCRET DE LA BOLIRGEOISIE
1974 LE FANTOME DE LA LIBERTE
1977 CET OBSCUR OBJET DU DESIR
« L'œuvre de Buñuel a une odeur de soufre. Le désir des hommes, aussi violent qu'inassouvi, est le centre de tous ses films. Son cinéma est aussi placé sous le double signe de la poésie surréaliste et de Freud. Il obéit à la logique du rêve et ses récit accueillent les images qui surgissent et s'enchaînent au rythme de l'inconscient. »
Alain Bergala Les cahiers du cinéma
« Pour moi Los olvidados est un film de lutte sociale. Parce que je me crois simplement honnête avec moi-même, je devais faire faire une œuvre de type social. Je sais que je vais dans cette direction. A part cela, je n'ai absolument pas voulu faire un film à thèse. J'ai observé des choses qui m'ont ému et j'ai voulu les transposer à l'écran mais toujours avec cet espèce d'amour que j'ai pour l'instinctif et l'irrationnel qui peuvent apparaître dans tout. J'ai toujours été attiré par le côté inconnu ou étrange qui me fascine sans que je sache pourquoi. »
Luis Buñuel
« La grandeur de ce film se saisit immédiatement quand on sait qu'il ne se réfère jamais aux catégories morales. Nul manichéisme dans les personnages, leur culpabilité n'est que contingente : la conjoncture provisoire de destins qui se croisent en eux comme des poignards (...). Cette présence de la beauté dans l'atroce (et qui n'est pas seulement la beauté de l'atroce), cette pérennité de la noblesse humaine dans la déchéance, retourne dialectiquement la cruauté en acte d'amour et de charité. »
André Bazin
« Los olvidados (les oubliés) marque le retour de Luis Buñuel sur le devant de la scène. Il s'est immergé plusieurs mois dans les bidonvilles de Mexico pour observer et voir la réalité de très près. Il signe ainsi un film proche du néo-réalisme italien, un film fort, sans sensationnalisme ni excès de misérabilisme mais dont les images sont marquantes. Luis Buñuel ne porte pas de jugement, il n'accuse pas la société qui tente d'apporter des solutions, il rend compte d'une situation sans issue. Il n'y a aucun manichéisme : fourbe et traitre, El Jaibo est la figure du mal et pourtant Buñuel le rend attachant dans une courte scène. Le seul jugement vraiment sévère est porté sur la mère de Pedro, incapable de donner la moindre parcelle d'amour. Los olvidados fut d'abord très mal reçu au Mexique. Déjà pendant le tournage, l'équipe était hostile mais, à sa sortie, Buñuel dut faire face à de nombreuses critiques acerbes : on lui reprochait de donner une mauvaise image du pays. Ce n'est qu'après un accueil triomphal à Cannes (en partie grâce à ses amis surréalistes) que le film put être plus largement distribué. »
L'œil sur l'écran
Les acteurs
ESTELA INDA | LA MERE DE PEDRO |
MIGUEL INCLAN | L'AVEUGLE |
ALFONSO MEJIA | PEDRO |
ROBERTO COBO | EL JAIBO |
ALMA DELIA FUENTES | MECHE |
FRANCISCO JAMBRINA | LE DIRECTEUR DE LA FERME-ECOLE |
ANGEL MERINO | CARLOS, ASSISTANT DU DIRECTEUR |
MARIO RAMIREZ | OJITOS |
Réalisation | LUIS BUÑUEL |
Scénario | LUIS BUÑUEL, LUIS ALCORIZA |
Produit par | ULTRAMAR |
Photo | GABRIEL FIGUROA |
Montage | CARLOS SAVAGE, LUIS BUÑUEL |
Décors | EDWARD FITZGERALD |
Musique | RODOLFO HALFFTER, SUR DES THEMES DE GUSTAVO PITTALUGA, JESUS GONZALES, JOSE B. CARLES |
Distribution | FILMS SANS FRONTIERES |