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L’intérêt de toute projection de rushes est surtout poser de façon plus pressante la question qui est au cœur même de la création cinématographique : que cherche au juste le metteur en scène, après quelle impossible perfection court-il, quelle idée se fait-il de cet absolu qu’il essaie passionnément de rejoindre ?
Question plus dramatique encore, lorsqu’il s’agit d’un Eisenstein, de tous les grands cinéastes celui dont le projet fut toujours le plus mystérieux, fût-ce à ses familiers ou collaborateurs. Huit mille mètres de rushes, montrés à l’état brut, ne répondent pas à cette question, mais confirment jusqu’à l’évidence un point : qu’Eisenstein est un cinéaste essentiellement synthétique, qui, jusque dans sa furie de morcellement, recherche d’abord une totalité, un bloc net et qui puisse exister indépendamment de toute progression narrative ; chaque plan se ferme sur lui-même comme un poing (…).
Eisenstein mort, QUE VIVA MEXICO ! est rigoureusement inmontable, et la seule solution, celle adoptée par M. Jay Leyda : projeter les rushes, et laisser deviner à chaque spectateur quelle, selon lui, aurait pu être l’idée mère qui les devait réduire : question sans réponse, mais qui nous projette immédiatement à la naissance de la création eisensteinienne, dont l’œuvre achevée, à son tour fermée sur soi, nous détourne.
CAHIERS DU CINEMA N°79, JANVIER 1958 |