Fear and Desire est une œuvre essentielle à notre compréhension du cinéaste, car elle révèle simultanément deux facettes du jeune Kubrick qui nous permettent de mesurer l'évolution de son regard et de ses stratégies : la vision d'un créateur d'images sûr de lui et prometteur, dont les thèmes (la guerre, l'incommunicabilité, la perte de contrôle...) et les obsessions (la hantise du grain de sable, le dédoublement, la mort et la renaissance...) sont déjà apparents et étonnamment proches de celles du maître à venir.
On retrouve dans ce coup d'essai, au moins deux caractéristiques fondamentales de l'œuvre à venir : premièrement, cette manière si particulière de filmer le monde comme un échiquier, où les personnages ressemblent à des pièces mues par des forces inconnues, dans un décor à la fois concret et irréel (une impression renforcée par une narration qui explique d'emblée que «...les ennemis qui s'affrontent ici n'existent pas à moins qu'on ne les rende réelles» et que «ces soldats n'ont pas d'autre pays que l'esprit»); deuxièmement, la forme mythique du récit, que Kubrick décrivait alors (dans une lettre à Joseph Burstyn, le distributeur du film) comme : «Un drame sur l'Homme perdu dans un monde hostile - privé de fondations matérielles et spirituelles - cherchant sa voie vers une compréhension de lui-même, menacé dans son Odyssée par un ennemi invisible qui l'entoure; un ennemi qui, examiné de près, semble presque façonné du même moule que lui...».