Tourmenteur de l'humanité avec la guerre, la peste ou la famine, Méphisto considère que la terre lui appartient. L'archange Gabriel lui évoque le nom de Faust, un vieux savant, un juste dont la vie entière est la preuve que la terre n'est pas totalement soumise au Mal. Méphisto promet de détourner de Dieu l'âme de Faust. « Alors la terre sera tienne », promet l'archange. Dans son village décimé par la peste, Faust désespéré trouve un grimoire lui permettant d'invoquer le Diable, et il signe avec lui un pacte de 24 heures pour sauver les malades. Mais les villageois réalisent que Faust n'est plus le même et veulent le lapider. En proie au suicide, Faust accepte une nouvelle proposition du Diable : retrouver sa jeunesse en échange de son âme…
UN FILM AVANT-GARDISTE
Un des films les plus ambitieux de l'histoire du cinéma tant sur le plan thématique que formel. Murnau, dans son dernier film allemand, a voulu dépeindre l'affrontement de Dieu et du Diable, de la lumière et de l'obscurité, de l'homme et des forces occultes, grâce à une utilisation maximale des pouvoirs du cinéma dans les domaines de l'espace, de la photographie, de l'interprétation. Toutes les ressources du clair-obscur sont employées ici pour qu'à la place d'une expression trop simpliste, schématique et manichéenne des grandes luttes qui façonnent l'univers, surgissent une succession de visions magiques où la lumière et l'ombre s'enlacent, s'empoignent, se mélangent selon des rapports de force plastiques et dynamiques toujours changeants et imprévisibles.
Jacques Lourcelles - Le Dictionnaire des Films (Ed. Robert Laffont)
Murnau, dans ses films, et dans Faust particulièrement, manifeste une réelle et profonde culture picturale. Il est l'un des rares cinéastes - avec Eisenstein ou Dreyer - dont la conception photographique doit plus à la peinture des musées qu'à l'imagerie populaire. Nous ne prenons pas, d'ailleurs, ce dernier terme en mauvaise part.
A viser trop haut, le cinéma risque de se casser les reins, et n'évite pas qui veut les pièges du pompiérisme. Les inspirateurs des premiers films de fiction furent, comme on le sait, des caricaturistes. Avant d'être tourné par Lumière, L'Arroseur arrosé avait été une « histoire sans paroles » dessinée par Herman Vogel et par Christophe. Né de la bande dessinée et inspirant à son tour celle-ci, le cinéma prend donc naturellement place, à l'intérieur de cette « imagerie » que les peintres et les théoriciens d'aujourd'hui ne tiennent pas pour une branche accessoire et mineure des Beaux-Arts. (...) Murnau, lui, ne doit rien à l'art naïf. Cela fait la grandeur et le péril de son entreprise, mais il ne semble pas qu'on puisse le taxer un seul instant de pédantisme, tant les influences qu'il a subies ont été intimement assimilées, tant il a su ne puiser en ses modèles que ce qu'il pouvait conformer à l'esprit du cinématographe.
Rien de plus dangereux pour le cinéaste que de se prétendre le peintre qu'il ne peut être. Mais cette grâce fut impartie à l'un des plus grands de s'élever au-dessus des limites de son genre, de battre le peintre sur son propre terrain, de faire œuvre de peintre. Prenons dans Faust, au hasard, un photogramme, une « image ». Même abstraction faite du mouvement qui anime celle-ci, c'est-à-dire en l'amputant de l'élément essentiel de la fascination qu'elle exerce sur nous, même reportée sur papier, il est indéniable qu'elle « tient ». Il n'y a pas en elle un seul point, pas une seule ligne, pas une seule surface, pas un seul contraste d'ombre et de lumière qui ne semble, loin des hasards de la reproduction mécanique, tracé avec la même liberté, rigueur ou fantaisie que par la main de l'homme.
Quel est le secret de Murnau ? Ce n'est pas seulement qu'il ait eu tout loisir, au studio, d'organiser préalablement sa matière visuelle, composée d'éléments dont en général les visages seuls - mais maquillés et modelés par les éclairages - gardaient leur configuration naturelle. Car d'autres ont œuvré dans les mêmes conditions et n'ont été que des plagiaires et des cuistres. Ce qui le distingue d'eux, c'est qu'il ne s'agit pas pour lui de nous faire admirer son habileté à donner l'illusion de la peinture, comme un tableau en trompe-l'œil donne celle de la réalité. Il sait feindre de conserver le pouvoir d'investigation brut, photographique, de la caméra pour nous faire entrer de plain-pied dans un univers d'essence picturale. Mieux, il nous révèle que l'univers, notre monde quotidien, est pictural en sa nature profonde ! Il vérifie et corrobore la vision du monde que nous ont livrée les étapes successives de la peinture.
Son succès est dû, en grande partie, à ce qu'il a choisi de donner forme à la lumière. Si Faust est le plus pictural de ses films, c'est que le combat de l'ombre et de la lumière en constitue le sujet. (Dans Le Dernier des hommes et Tartuffe, la forme architecturale conçue par Karl Mayer, au stade du scénario, pèse davantage sur le jeu.) L'utilisation des éclairages donne au cinéaste un contrôle autrement plus précis de sa matière filmique que l'insertion de celle-ci dans un tel cinéma d'architecture. C'est la lumière qui modèle la forme, qui la sculpte, et le cinéaste - sans se départir de son humilité de principe - semble n'être là que pour enregistrer cet acte de création, pour nous donner d'assister à la genèse d'un monde vrai et beau comme la peinture, puisque c'est par la peinture que la vérité et la beauté du monde visible nous ont été, au cours des âges, révélées.
Eric Rhomer - Extrait de L'Organisation de l'espace dans le Faust de Murnau(Petite bibliothèque des Cahiers du Cinéma)
Avant Murnau, Méliès s'était déjà intéressé au mythe de Faust, mais, de tous les réalisateurs qui s'attaquèrent eu personnage célèbre, c'est bel et bien Murnau qui sut le mieux transporter le mythe faustien à l'écran. Son film est « peut-être bien le chef-d'œuvre du cinéma de caractère fantastique et légendaire. La traduction du thème faustien n'est ni dans le développement de l'histoire ni dans quelque philosophie verbale, mais dans une composition plastique d'une extraordinaire beauté. Le mouvement des formes, le jeu des ombres et des lumières, les décors, tout ici a valeur de signe et de symbole » (Jean Mirty)
Le Guide des films
Murnau fait de la légende germanique et du drame de Goethe un subtil jeu de dédoublement. Entre les personnages, bien sûr. Mais aussi entre les objets et les situations (montage parallèle du cortège de Pâques et du défilé militaire). Cadrages raffinés. Images spectaculaires (l'ombre de Satan s'étendant sur la ville). Jeux de lumière violemment contrastés. Scènes conçues comme des tableaux (on pense à Mantegna ou aux graveurs romantiques). Le très grand film de l'expressionnisme.
Télérama
Avec Faust transparaît la volonté première de Murnau de donner à son film l'illusion de la peinture. Ainsi, certains plans sont de véritables réminiscences de toiles célèbres. C'est que Murnau a reçu une formation d'historien de l'art.
Dans L'écran démoniaque de Lotte Eisner, nous pouvons lire : « Si dans son Faust il montre en raccourci un pestiféré gisant avec d'énormes plantes des pieds, c'est le reflet du Christ de Mantegna. Et si Gretchen, accroupie dans la neige parmi les ruines d'une chaumière la tête enveloppée dans son manteau, tient son enfant dans les bras, ce n'est que la vague réminiscence d'une madone flamande ».
Murnau a pour peintres référents : Rembrandt, Georges de La Tour ou encore Vermeer. Un jeu du clair obscur s'installe dès les premières secondes du film et rappelle le clair obscur de Rembrandt. Référençons nous à quelques scènes du film ; celles de la peste par exemple, la peste qui se propage et décime la population. L'action constitue alors un frêle ilot de lumière menacée par une obscurité dévorante. Dans le cabinet de travail de Faust, la lumière est nébuleuse et flottante, des formes sortent des brumes doucement lumineuses. Ici, Murnau se souvient de la lumière qui baigne la gravure du Faust de Rembrandt. Avec Georges de La Tour, Murnau partage le goût du dépouillement des décors et des costumes. Chez Murnau, tout comme chez Vermeer, la lumière se veut organisatrice de l'espace, référençons nous aux scènes diurnes chez Gretchen. Nous lirons chez Rohmer « Si Faust est le plus pictural de ses films, c'est que le combat de l'ombre et de la lumière en constitue le sujet. »
La plastique de Murnau est avant toute chose axée sur la conception et la fonction de la lumière. Murnau subordonne la forme à la lumière, en d'autres termes ; la lumière modèle la forme, elle la sculpte. « Toutes les formes, visages, corps, objets, éléments naturels, écrit Éric Rohmer, sont modelés à sa guise avec une science consommée de l'effet. Jamais œuvre cinématographique n'a spéculé si peu sur le hasard ».
La lumière accompagne le geste, affirme la présence dramatique des comédiens, transcende leur jeu. Par instants, la lumière ondoie sur les visages. L'éclairage participe à l'intensité des émotions. Et par cette intensité, le personnage accède à une existence picturale.
La lumière ruisselle de toutes parts : sur Faust brûlant de gros volumes poussiéreux, sur le fantôme noirci de Méphisto conjurant les flammes, à l'intérieur de l'église jaillissent des ondes de lumière douce et tendre… Les nuances de l'éclairage participent activement au drame.
Parce que ce combat de l'ombre et la lumière, c'est le combat du Bien et du Mal, ce duel entre Méphisto et l'Archange. Le début du film présente ce que le clair-obscur allemand a créé de plus remarquable, de plus saisissant. Eisner écrit : « Une lumière qui prend naissance dans les brumes, des rayons qui traversent l'air opaque ou encore la forme lumineuse d'un archange troublant qui s'oppose au démon dont les contours en dépit des ténèbres, ont un relief grandiose.» Un film du clair-obscur pour illustrer un pari surnaturel. Les Enfers défiant le Ciel, les ténèbres démoniaques tentant d'étouffer la clarté divine. Un surnaturel qu'impose Murnau de manière magistrale.
Faust est le héros d'un conte populaire allemand ayant fait florès au 16ème siècle, à l'origine de nombreuses réinterprétations.
Cette histoire relate le destin d'un savant, Faust, déçu par l'aporie à laquelle le condamne son art, contractant un pacte avec le Diable, Lucifer, qui met à son service un de ses Esprits - dit Méphistophélès, lequel lui procure un serviteur humain, l'étudiant Wagner, qui devient son famulus - et lui offre une seconde vie, tournée cette fois vers les plaisirs sensibles, au prix de son âme. Dans la plupart des versions populaires du récit fantastique, l'âme de Faust est damnée après sa mort, qui suit une longue période (24 ans précisent certains textes) durant laquelle le Diable a exaucé la plupart de ses vœux.
En 1587 paraît un écrit anonyme Historia von Johann Fausten, publié par l'éditeur Johann Spies. Il est traduit en anglais en 1593, et tombe dans les mains de Christopher Marlowe, qui situe l'action de sa pièce à Wittenberg. Le Docteur Faustus de Marlowe est, à son tour, étudié par Goethe, et la tragédie de Faust est venue éclipser le Faust historique, dont on connaît peu de choses.
La Vie de J. Faust a été écrite plusieurs fois, notamment par Georg Wiedmann (Hambourg, 1593), et traduite en français sous le titre Histoire prodigieuse et lamentable de J. Faust, grand magicien et enchanteur, par Palma Cayet (Paris, 14 éditions de 1598 à 1674). Heumann a composé une curieuse dissertation sur Faust (Wittemberg, 1683).
Quelques-uns ont pensé que Faust n'est autre que Johann Fust de Mayence, un des inventeurs de l'imprimerie, dont la vie aurait été défigurée par les contes populaires.
Deux pièces de Johann Wolfgang von Goethe sont intitulées Faust, du nom d'un alchimiste allemand du 16ème siècle, héros d'un conte populaire et de pièces de Christopher Marlowe et Gotthold Ephraim Lessing. Goethe a travaillé sur le thème de Faust pendant une longue partie de sa vie et Faust est souvent considérée comme l'œuvre la plus importante de la littérature allemande. La première pièce, souvent appelée Faust I, a été publiée dans sa version définitive en 1808. La seconde, ou Faust II est une suite au Faust I publiée peu après la mort de l'auteur, en 1832. Elle est considérée comme beaucoup plus difficile d'accès que le premier Faust.
Goethe a déclaré que la première partie de Faust était l'œuvre « d'un être troublé par la passion, qui peut obscurcir l'esprit de l'homme ». La seconde partie révèle un monde moins soumis à la passion. Dans sa dernière version de Faust, Goethe a écrit un "Prologue" qui pose la question obsédante du salut de l'âme. L'œuvre est ainsi une parabole de l'Humanité souffrante, tiraillée entre pensée et action.
De cette «légende populaire allemande» (dixit le sous-titre) inspirée par un véritable Faust (qui aurait vécu aux environs de 1480-1540), d'abord adaptée en 1588 par le jeune tragédien anglais Marlowe, puis par les Allemands Klinger (1791) et Lenau (1836), le texte de Goethe conserve certains éléments mais d'autres sont abandonnés ou modifiés. Murnau et ses scénaristes modifient et innovent à leur tour. Entre Goethe et Murnau, sont passés les influences de Gounod, de Berlioz, de la Faust Symphonie de Franz Liszt, de Wagner, des peintres et graveurs romantiques allemands, et même au moins celle d'un dessin d'Alfred Kubin. Du premier comme du second Faust de Goethe, et des autres sources narratives, plastiques ou musicales, Murnau réussit à synthétiser et à transmuter plastiquement les enjeux métaphysiques dans le cadre d'un film ambitieux qui se voulait à la fois populaire et artistique, à la fois commercial et d'avant-garde.
Il naît dans une famille de la petite bourgeoisie allemande. Il commence des études de philologie à Berlin et d'histoire de l'art à Heidelberg, mais en 1911, il abandonne ses études pour se consacrer au théâtre. Durant la Première Guerre mondiale, il est mobilisé et sert dans l'aviation. Malgré huit crashs, il n'est jamais gravement blessé, mais il est fait prisonnier en Suisse en décembre 1917. En 1919, il retourne dans son pays natal.
Il commence par signer des œuvres sentimentales ou fantastiques qui s'inscrivent dans la tradition du romantisme allemand. Il s'affirme très vite comme un réalisateur de grand talent par un style vif et tourmenté qui évoque l'expressionnisme pictural et poétique. Ce style éclate dans un film resté célèbre, inspiré du Dracula de Bram Stoker, Nosferatu le vampire, sorti en 1922.
Il enchaîne les films forts, entre réalisme et fantastique, et réalise des œuvres majeures, comme Le Dernier des hommes (1924), avec Emil Jannings, et Faust, une légende allemande (1926), qui l'imposent aux côtés de Fritz Lang et Georg Wilhelm Pabst comme une des principales figures du cinéma allemand.
Son travail est remarqué aux États-Unis, où il se rend, invité par les studios de la Fox, et où il réalise L'Aurore, qui est généralement considéré comme son chef-d'œuvre et comme un des plus grands films de l'histoire du cinéma.
Décidé à faire carrière aux États-Unis, il y réalise d'autres films dans un style assez réaliste jusqu'à son dernier, d'esprit symboliste, tourné en Polynésie, Tabou. C'est au cours de ce tournage qu'il fait la connaissance du photographe français Émile Savitry et admiratif de son travail l'engage comme photographe de plateau pendant quatre mois. Ce tournage sera émaillé de déboires, perçus par les Maoris comme étant en rapport avec la violation du site sacré de l'île de Motu Tapu par le réalisateur, qui déplaça une pierre sacrée pour poser le pied de sa caméra, et quelques mois plus tard, à quarante-deux ans, il meurt à la suite d'un accident de la route, une semaine avant la première de Tabou, sa voiture ayant percuté un poteau électrique sur la côte californienne.
1919 : Der Knabe in Blau
1919 : Satanas
1920 : Le Bossu et la Danseuse ou Le Baiser vert (Der Bucklige und die Tänzerin)
1920 : Le Crime du docteur Warren (Der Januskopf)
1920 : L'Émeraude fatale (Abend… Nacht… Morgen)
1920 : La Marche dans la nuit (Der Gang in die Nacht)
1921 : Sehnsucht
1921 : La Découverte d'un secret (Schloss Vogelöd)
1922 : Marizza, genannt die Schmugglermadonna
1922 : Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens)
1922 : La Terre qui flambe (Der brennende Acker)
1922 : Le Fantôme (Phantom)
1923 : L'Expulsion (Die Austreibung)
1924 : Les Finances du grand-duc (Die Finanzen des Grossherzogs)
1924 : Le Dernier des hommes (Der letzte Mann)
1926 : Tartuffe (Herr Tartüff)
1926 : Faust, une légende allemande (Faust, eine deutsche Volkssage)
1927 : L'Aurore (Sunrise)
1928 : Les Quatre Diables (Four Devils)
1930 : L'Intruse (City Girl)
1931 : Tabou (Tabu)
Les acteurs
Gösta Ekman | Faust |
Emil Jannings | Méphisto |
Camilla Horn | Gretchen |
Frida Richard | la mère |
William Dieterle | Valentin |
Yvette Guilbert | Marthe Schwerdtlein |
Eric Barclay | le duc de Parme |
Hanna Ralph | la duchesse de Parme |
Werner Fütterer | l'archange |
Production | UFA |
Producteur | Erich Pommer |
Réalisation | Friedrich Wilhelm Murnau |
Scénario | Hans Kyser d'après l'œuvre de Goethe |
Photographie | Carl Hoffmann |
Décors & costumes | Robert Herlth, Walter Röhrig |
Musique | Galeshka Moravioff |
Distribution | Films Sans Frontières |