L’Angleterre au début du 15ème siècle. Henry Bolingbroke, devenu le roi Henry IV après le meurtre de Richard II, est attristé par la conduite de son fils Harry, qui, plutôt que de penser aux affaires du royaume, passe son temps à boire et à s’amuser en compagnie du truculent Falstaff. Quand une rébellion menace la légitimité d’Henry IV, Harry décide de regagner la confiance de son père en montrant sa valeur au combat. Mais pour devenir roi, Harry devra aussi sacrifier ses amitiés d’antan, à commencer par celle de Falstaff…
« Il n'y a pas un mot de moi, le dialogue est entièrement de Shakespeare. J'ai simplement fait une mosaïque des répliques de différentes pièces. Falstaff est un homme représentant une vertu en train de disparaître, la bonté, mais son combat est perdu d'avance. C'est le personnage dans lequel je crois le plus, l'homme le plus entièrement bon de toute la littérature mondiale. Il tire de ses défauts les plaisanteries les plus énormes. Le film parle du prix terrible à payer en échange du pouvoir. Harry, prince légitime, doit trahir l'homme bon pour devenir un héros, un Anglais héroïque et célèbre. C'est aussi une lamentation sur la mort de la « joyeuse Angleterre », cette époque de la chevalerie, de la simplicité. Ce qui meurt c'est, plus que Falstaff, la vieille Angleterre, trahie. » Orson Welles – 1966
Falstaff est une coproduction entre la Suisse et l'Espagne, elle s'est déroulée sur un an, puis s'est montée sur une autre année où le cinéaste, isolé devant sa table de montage, parvint à affiner son style à des sommets qu'il n'allait jamais plus atteindre. Plus qu'une grande adaptation de l'univers shakespearien, Falstaff est le chef-d'œuvre sombre, triste et longtemps incompris de Welles, une sorte d'ultime cri tragique, peiné par la trahison d'un système, entremêlant quatre pièces (Richard II, Henry IV, Henry V, et Les Joyeuses Commères de Windsor) sans aucune difficulté.
Que Welles ait d'abord écrit cette pièce à l'âge de vingt-quatre ans, qu'il l'ait joué à New York en 1939, puis en 1960 avant de la tourner en 1965, ajoute à cette mythologie de l'auteur qu'il s'est toujours plu à entretenir et qui teint encore aujourd'hui l'appréciation de ce point culminant. Voilà un film au bord du gouffre, réalisé sans le sous par un homme exilé de nouveau des États-Unis après un retour infructueux (La Soif du Mal), un film tellement épuré, tellement pur, en un sens, qu'il ne lui suffit que d'avoir Welles en costume, quelques ruines et 200 soldats pour en faire 20 000. Le magicien est ici à son état le plus brut, démuni de tous les chapeaux trafiqués dont il avait joui en Amérique et même dans la production marocaine d'Othello. Dans les plaines d'Espagne, il fait construire des plates-formes de bois pour surélever ses régiments. Il pose sa caméra au sol, filme en premier plan un roi, puis nous fait découvrir ces soldats haut perchés, défiant les lois de l'optique pour réécrire celles du cinéma.
Ailleurs, deux doublures remplacent deux acteurs et Welles décide de filmer les pieds de ces non-acteurs avant de postsynchroniser des lignes de dialogue sur un plan de pantins. La rigueur budgétaire, il la respecte plus que jamais, se disant qu'il n'aura de chance de tourner de nouveau que s'il fait preuve d'une économie de moyens exemplaire (c'est pourtant ce qu'il s'était dit chez la Universal en 1958 - hélas, son film fut encore charcuté dès le premier plan). Mais en Espagne, avec de nouveaux amis dont le batifoleur Jess Franco, il s'entoure de techniciens capables, mais peu équipés, d'artisans qui l'admirent, mais qui n'ont pas les moyens qu'il lui faudrait pour capter dans toute sa force brutale l'affrontement des forces de Henry IV contre les rebelles de Henry Percy à la Bataille de Shrewsbury.
Dans ce climat accueillant, relativement serein, où il a su s'entourer de comédiens hors pairs (l'amie Jeanne Moreau, mais aussi John Gielgud, Keith Baxter, Norman Rodway et Alan Webb qui complètent une brochette éduquée au théâtre élisabéthain), Welles défit les contraintes et les plie à son goût pour la démesure, une aspiration d'autant plus forte et émouvante dans Falstaff qu'elle prend pied sur les techniques les plus élémentaires du cinéma, prouvant à nouveau le génie d'un maître, mais aussi les possibilités sans limites des décisions les plus banales de la mise en scène cinématographique.
Car contrairement à ce que l'on pourrait voir dans ce Falstaff - l'adaptation réussie d'une pièce réalisée avec peu de moyens -, jamais la théâtralité ne l'emporte sur l'image en mouvement de Welles (contrairement à ses adaptations de Macbeth et d'Othello), toujours là, à adorer la contreplongée, les travellings latéraux expéditifs comme les tortillements de la caméra à épaule dans une bataille qui débute dans la brume des romantiques et se termine dans la boue des réalistes. La scène a d'ailleurs inspiré Mel Gibson, mais aussi Peter Jackson et demeure l'une des plus époustouflantes de l'histoire du cinéma de par son utilisation des ralentis, des déplacements rapides et d'un montage qui, comble de l'illusion, décuple les soldats en manipulant les angles et les échelles de plan ; au total : dix jours de tournage pour six minutes de film montées sur une période de six semaines.
Jamais depuis Citizen Kane, Welles n'est donc parvenu à accumuler autant de traits de génie. La présence de la caméra ne se fait plus sentir, la mise en scène vole en éclat, s'éloignant du style cartésien qu'il avait privilégié dans Le Procès pour préférer cette combinaison savante de plans aux éclairages gothiques avec des extérieurs qui puisent dans la peinture anglaise autant que dans les grandes batailles qu'a filmées avant lui Eisenstein dans Ivan le Terrible et Alexandre Nevsky. C'est d'ailleurs de cette dynamique-là dont hérite Falstaff, de celle qu'avait développée l'auteur russe dans la période la plus tardive de sa carrière, pavant la voie à une certaine modernité de l'image et du montage qui allait désormais se référer à une mélodie visuelle et sonore plutôt qu'à une dialectique rationnelle.
Mais Falstaff, plus qu'un film magnifique, demeure l'adieu non prémédité de Welles, lui qui incarne dans ce rôle de bourru un personnage encore plus ingrat que celui qu'il avait joué face à Charlton Heston dans La Soif du Mal. Obèse et malade, sa barbe grossière et ses joues écarlates de pinard, l'auteur semble aussi mal en point que son personnage. Après avoir été renié par son protégé, il meurt de chagrin, trahi, déchu comme l'a été Charles Foster Kane, Harry Lime dans Le Troisième Homme, Arkadin et bien d'autres figures tragiques qu'il a incarnées. Celle de Falstaff rappelle le parcours de Welles à travers l'Europe, pris à vagabonder de pays en pays, grappillant chez les artistes et les riches, cherchant du financement pour tourner avant de finir démuni, pris à mentir pour sauver le peu qui lui reste d'honneur. On repense à cet auteur défait, mythomane au possible, qui n'avait rien de plus que sa tête et ses souvenirs pour entretenir sa légende.
À la fin du film, son Falstaff meurt de chagrin après avoir été démasqué, comme si, en arrachant le masque, c'est le visage trop collé, trop pris à l'image, qui était parti, arraché d'un corps maintenant sans vie. Sans mythes, sans histoires, Falstaff n'était plus; celui qui l'a mené d'une pièce à l'autre, qui l'a si bien joué, ne pouvait que connaître le même sort, s'éteignant à petit feu au fil de la démystification qu'on allait lui imposer dans les studios, chez la critique et le public. « Je vaux la somme de mes mensonges », dit l'homme avant de disparaître au loin, après avoir vu ce nouveau roi qui le renie, après avoir entendu les cloches de minuit qui sonnent la fin du jour et le début d'un autre. Avec la page du royaume et du cinéma qui se tourne, c'était un géant qui, le pas lourd, quittait l'écran.
Panorama-cinema.com
Pendant le tournage, voici comment Welles présentait ses intentions : « Visuellement parlant, Falstaff devrait être très simple, parce que c'est l'aspect humain de l'histoire qui compte avant tout. Cette histoire de Falstaff est la meilleure qu'on puisse trouver chez Shakespeare – non pas la meilleure pièce, mais la meilleure histoire. Tout ce qui comptera dans le film devra se lire sur les visages ; on devra lire sur eux toute l'histoire de cet univers dont je parlais. Ce sera, en termes de gros plans, je crois, ma plus grande contribution au cinéma… Une histoire de ce genre exige des gros plans : dès qu'on prend du recul et qu'on se détache des visages, on ne voit plus que des personnages en costumes d'époque et une foule d'acteurs au premier plan. Plus on se rapproche d'un visage, plus il gagne en universalité. Falstaff est une comédie noire, le récit d'une amitié trahie. » Lorsque le film fut terminé, Welles ajouta : « C'est la Splendeur des Amberson et Falstaff qui se rapprochent le plus du genre de films que je voudrais tourner… Dans le cinéma, ce que je recherche le plus aujourd'hui, ce ne sont pas des effets spectaculaires, ni les prouesses techniques, mais une plus grande unité de formes, de contours… Voila mon but, ce que j'espère réussir. Si j'y parviens, c'est que j'atteins ma maturité artistique. Si j'échoue, c'est que je suis sur la pente descendante, comprenez-vous ? »
« Tourner avec Welles dans un rôle tiré du plus inventif de tous les scénaristes : William Shakespeare ! Comment ne pas se jeter dans la plus dure des batailles ? […] Ce géant à la voix tonnante qui, des costumes à la décoration, des lumières aux déplacements, veillait à tout, sachant créer sur-le-champ l'atmosphère idéale pour fournir un travail de la meilleure qualité. Car il n'avait pratiquement aucun gros moyen technique. Pour les travellings, sa caméra était posée sur des caisses à vin reliées entre elles par du fil de fer. Il la poussait avec les rares machinos, et tirait lui-même les câbles, de concert avec quelques électros. Comme nous mourrions de froid dans ce château médiéval ouvert à tous les vents, il nous réchauffait, nous massait de ses mains puissantes. Toute la troupe y passait : ouvriers, acteurs, cuisiniers et charpentiers. […] Un orage éclate au moment où le vieux roi se meurt. Le chef opérateur Edmond Richard, n'ayant pas suffisamment de projecteurs, usait d'un subterfuge inédit pour éclairer les immenses salles médiévales : il avait tendu du papier d'argent tout au long des murs qui n'étaient pas dans le champ. Je ne sais qui avait inventé cette nouvelle manière de profiter doublement des arcs : peut-être notre génial Orson y était-il pour quelque chose ? L'effet était saisissant. Les éclairs, par là-dessus, donnaient encore plus de tension, et les déflagrations infernales semblaient annoncer la fureur des dieux. Nous étions tous surexcités, et, à la fin de la journée de travail, aussi épuisés que comblés. On avait le sentiment d'avoir participé à quelque équipée grandiose. »
Marina Vlady
C'est grâce à quelques hommes comme Orson Welles que le cinématographe est resté un art, à une époque où il menaçait de n'être plus qu'une industrie. Souvent incomprise, parfois mutilée, son œuvre demeure aujourd'hui un exemple esthétique et moral pour les créateurs dignes de ce nom.
30 ans après la mort d'Orson Welles, ni lui ni son œuvre n'ont connu un mois de purgatoire. Welles est même devenu une figure de fiction : quantité de films, de pièces de théâtre, de romans, de bandes dessinées le compte parmi leurs personnages. Il y est toujours plus grand que nature.
Enfant précoce et prodige, il perd ses parents au début de son adolescence. Le docteur Bernstein, un ami de sa famille, va le recueillir. Il aura une jeunesse dorée, rythmée par de nombreux voyages à l'étranger. A 16 ans, celui qui savait réciter par cœur Le Roi Lear à l'âge de 5 ans, bluffe et se fait engager par le prestigieux Gate Theater de Dublin. Ses affinités avec le monde des planches, lui font intégrer les plus grandes troupes, pour devenir un acteur et metteur en scène très respecté. En 1934, il réalise The Hearths of Age un film muet de cinq minutes. La même année, il rentre à la radio. En adaptant La Guerre des mondes d'Herbert George Wells pour les ondes, il crée l'un des événements radiophoniques du siècle. En effet, les auditeurs avaient réellement cru au débarquement des extraterrestres dépeint par ce roman. Ce touche-à-tout souhaite s'investir dans le cinéma en adaptant le livre Au Coeur des ténèbres de Joseph Conrad. Il voulait que ce film soit réalisé en caméra subjective. Ce dernier procédé et le coût trop élevé du projet empêcheront le film de voir le jour.
Son premier long-métrage sera Citizen Kane en 1941. Ce film est révolutionnaire par son procédé narratif et reprend implicitement le principe de la caméra subjective. Cette œuvre s'inspire de la vie du magnat de la presse W.R Hearst qui utilisa toute son influence pour la censurer. Les critiques salueront unanimement Citizen Kane alors que le public le bouda. Welles enchaîne en 1942 avec La Splendeur des Amberson. Le film ne rencontra pas le succès. Les studios remonteront ce film sans son accord, intervention qu'il vivra extrêmement mal. Welles décide alors de se concentrer sur sa carrière d'acteur. Il joue dans Jane Eyre (1944) de Robert Stevenson avant de revenir à la réalisation avec Le Criminel (1946). Puis en 1948, il monte La Dame de Shanghai. Là encore malgré son inventivité, ce film ne remporte pas les suffrages. Avant de quitter les Etats-Unis, il réalise Macbeth tiré de la pièce de Shakespeare.
Ne supportant plus les contraintes du système américain, cet épris de liberté et d'indépendance part s'installer en Europe. Il se rend compte qu'il est grassement payé pour ses prestations d'acteurs. Il utilise ses hauts salaires pour auto-financer ses longs-métrages. C'est ainsi qu'on le voit dans Le Troisième Homme de Carol Reed (1949). Il joue sous la direction de grands noms du 7ème Art comme dans Si Versailles m'était conté... (1954) de Sacha Guitry, Moby Dick (1956) de John Huston, Le Génie du mal (1959) de Richard Fleischer, et La Décade prodigieuse de Claude Chabrol (1971).
En tant que réalisateur, il continue l'adaptation de pièces sur grand écran comme Othello (1952) et Falstaff (1966) poursuivant ce qu'il avait entrepris avec Macbeth. Grâce à Charlton Heston, il fait La Soif du mal (1958), puis en 1963 Le Procès d'après le livre de Kafka. Son dernier film est Vérité et Mensonges (1975), une œuvre sous forme d'essai sur le thème de la vérité dans l'art. Malgré l'infortune commerciale de ses films, Orson Welles est indéniablement l'un des plus grands cinéastes du 20e siècle. Un génie exubérant, excellant dans tous les domaines artistiques. Incompris, il est aujourd'hui considéré comme un réalisateur visionnaire.
« Orson Welles. Il est l'incarnation d'un mythe : celui d'un enfant prodige d'Hollywood, auteur d'une œuvre inclassable, foisonnante et chaotique. Dans la légende du XXe siècle, sa place est à jamais celle de l'auteur de Citizen Kane et de l'un des plus grands canulars de l'histoire : son adaptation radiophonique de La Guerre des mondes, de H. G. Wells, dans laquelle il annonçait l'attaque imminente des Martiens et créait dans les rues de New York une panique sans précédent. De fait, Orson Welles est l'incarnation d'un mythe, celui d'un enfant prodige, prestidigitateur accompli, connu dans le monde entier dès l'âge de 23 ans pour ses mises en scène de théâtre, génial prophète de l'ère des médias de masse, dont le physique et la voix magnétiques aimantaient instantanément son public... S'il a largement contribué à l'écrire, cette légende n'en a pas moins porté ombre à son œuvre cinématographique, l'une des plus importantes de l'histoire du 7e art. En seulement douze longs métrages - plus de nombreux projets inachevés -, Welles a révolutionné les codes de la mise en scène hollywoodienne, cassant le mythe de la transparence classique, interrogeant sans cesse les fondements de la représentation, et ce dès le coup de tonnerre originel que fut Citizen Kane. S'il faut dégager un axe de cette œuvre inclassable, foisonnante, chaotique, ce serait son style, sa sidérante puissance visuelle qui renvoie aux recherches du muet tout en étant entièrement commandé par la parole, et qui fait de Welles le cinéaste le plus en phase avec son époque. Travaillée par la mort, la quête d'identité, la création, la trahison, le masque, la filmographie de Welles est, en outre, profondément habitée par l'univers de Shakespeare, à qui le cinéaste vouait un véritable culte. La plupart de ses films furent des échecs. Si bien qu'après s'être fait offrir les clés de la RKO pour son premier film, il a vu les suivants massacrés par les studios. La Splendeur des Amberson fut ainsi remonté avec des séquences tournées par Robert Wise. En 1943, Welles ravale son orgueil et signe Le Criminel, un thriller classique qui sera un de ses seuls succès publics. Mais il rue dans les brancards dès le suivant, La Dame de Shanghaï, faisant couper et teindre en platine les cheveux de Rita Hayworth, un crime de lèse-majesté envers l'une de ses plus grandes stars qu'Hollywood ne lui pardonnera jamais. Welles quitte alors les Etats-Unis pour tourner, ailleurs, des films financés par ses prestations d'acteur, d'homme de radio et de télévision, assumant ainsi, comme l'a écrit François Truffaut, son statut d'artiste d'avant-garde. Cette période "nomade", et fauchée, est celle de la fin de sa trilogie shakespearienne - Macbeth (1948), Othello (1952) et Falstaff (1965) -, de l'épopée sans fin de son Don Quichotte, de formidables essais sur le cinéma, tels F for Fake ou Filming "Othello". Perdant magnifique, qui semblait prendre plus de plaisir à concevoir ses films qu'à les terminer, Orson Welles n'a jamais cédé à la plainte. Il fut en cela à la hauteur de ses plus grands héros. » Isabelle Regnier pour Le Monde .
Courts-métrages
1934 : Hearts of Age
1938 : Too Much Johnson
1978 : Moby Dick
1984 : The Spirit of Charles Lindberg
1985 : Orson Welles' Magic Show
Longs-métrages
1941 : Citizen Kane
1942 : La Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons)
1942 : It's All True (inachevé)
1943 : Voyage au pays de la peur (Journey into fear) avec Norman Foster
1946 : Le Criminel (The Stranger)
1947 : La Dame de Shanghai (The Lady from Shanghaï)
1948 : Macbeth
1952 : Othello (The Tragedy of Othello: The Moor of Venice)
1955 : Dossier secret ou (Mr. Arkadin/Confidentiel Report)
1957 : Don Quichotte (inachevé)
1958 : La Soif du mal (The Touch of Evil)
1962 : Le Procès (The Trial)
1965 : Falstaff - Chimes at Midnight
1968 : Une histoire immortelle (The Immortal Story)
1970 : The Deep (inachevé)
1972 : The Other Side of the Wind (inachevé)
1973 : Vérités et Mensonges (F for Fake)
1978 : Filming Othello
1984 : The Dreamers (inachevé)
« Falstaff réaffirme une éblouissante effusion créatrice, une formidable générosité, alliées à une culture et à une intuition sans pareilles. Il fallait le génie universel de Welles pour mener à bien une œuvre installée au carrefour des grands thèmes et des grands mythes, là où la totalisation du savoir est indispensable à la création d’un univers original. Falstaff n’est pas la synthèse eisensteinienne des autres arts, ni l’appropriation viscontienne du théâtre et de l’opéra, mais bien un film résolument moderne et nouveau qui retrouve en cours de route la peinture et la musique, la danse et l’architecture, l’opéra et le théâtre. Et ce point d’incandescence, où les savoirs et les formes se consument et renaissent, s’appelle poésie. »
Cahiers du Cinéma
« Après son Don Quichotte inachevé et Le Procès, d'après Kafka, tourné en France en 1963, Orson Welles revint à Shakespeare, en 1966, grâce à une production hispano-suisse. Mais, contrairement à son Macbeth (1948) et à son Othello (1952), il utilisa des extraits de trois tragédies (Henry IV, Richard II et Henry V) et d'une comédie (Les Joyeuses Commères de Windsor) du grand élisabéthain, pour constituer un portrait complet de John Falstaff, personnage de comparse dans ces œuvres. Il joua lui-même le rôle d'un être qu'il voulait hors du commun, bon vivant aux défauts minimes selon lui, héros à part et anachronique dans une Angleterre livrée aux forces politiques, exilé et trahi par son ami de débauche qui ne peut plus supporter ses idées intransigeantes. Orson Welles, cinéaste en perpétuelles difficultés, s'est peut-être identifié à ce Falstaff tragi-comique à la fin poignante.
Une mise en scène baroque, de grands acteurs de diverses nationalités et des éclairages superbes valurent à ce film - trop rarement diffusé à la télévision - le Grand Prix du 20e anniversaire, au Festival de Cannes en 1966, ainsi que le Prix de la critique internationale et le Prix technique de la meilleure photo en noir et blanc. On apprécie qu'Alain Bashung, cinéphile passionné, l'ait choisi pour sa carte blanche avec L'Aurore de Murnau (1927, " Le Monde Télévision " du 28 mars 2003), La Féline, de Jacques Tourneur (1942), L'Homme qui rétrécit de Jack Arnold (1957) et... Ma sœur chinoise, d'Alain Mazars (1994), où lui-même avait tenu un rôle. »
Jacques Siclier pour Le Monde
« Falstaff est un film qui a beaucoup compté pour moi, et dont personne n'a beaucoup entendu parler. Quand j'ai commencé mes études de cinéma, il était déjà sorti et avait fini sa carrière. J'avais vu tous les films de Welles à la fac, sauf celui-là ; je suis donc allé le voir au cinéma. J'ai été ému par l'amour qu'Orson Welles avait mis dans ce film. Welles adaptait Shakespeare depuis le lycée, et il y a mis quelque chose de son enfance. Retournant à Shakespeare, il retournait à ses racines. Dans tous ses films, Welles est acteur, qu'il soit devant ou derrière la caméra. C'est l'un de ses secrets, et c'est sa nature profonde. Pour Falstaff, il est allé chercher les meilleures répliques chez le meilleur écrivain de tous les temps. Malgré un budget modeste et des défauts techniques, le film a des moments de brio uniques. Au milieu du film, il y a une scène de bataille qui prend place parmi les plus belles que j'ai vues. Les notations visuelles et émotionnelles sont au-delà de ce que Welles avait fait auparavant, et son interprétation est époustouflante. Quand j'ai vu Falstaff, j'ai eu le sentiment qu'il était enfin parvenu à ce qu'il voulait, quoi qu'ait pu en dire la critique. Je n'ai jamais cru à la scène de Citizen Kane où il casse tout dans la chambre : il avait vraiment du mal à la sentir en tant qu'acteur. Mais dans Falstaff j'ai su qu'il avait touché juste. Je le voyais à son visage. Tout ce qu'il avait enduré dans sa carrière ressortait dans son jeu, c'était une manière très personnelle de jouer le rôle. Le plus surprenant dans Falstaff est la présence constante de l'humour tout au long du film. On considère Welles comme l'artiste comblé qui domine tout le monde du haut de son solennel classique, Citizen Kane. Ici, il multiplie les notations drolatiques, comme les plans de gens en armure hissés sur leurs chevaux, qui sont aussi véridiques. Le film m'a permis, à moi étudiant en cinéma, de prendre la mesure du combat de Welles avec la technique, et aussi de dépasser cette approche superficielle des films, pour en découvrir les richesses que ne possèdent pas tant de films à la surface lisse et polie, qui flattent le regard. Alors que le brio décoratif et formel de Citizen Kane est fascinant à regarder, il est émotionnellement sec, et j'en suis toujours resté un peu loin. Et voilà que ce film, tourné dans des circonstances démentes, me cloue au sol. Les acteurs sont magnifiques, ils crèvent littéralement l'écran. Welles a véritablement mis sa vision sur l'écran, vision souvent considérée sans indulgence par beaucoup de commentateurs, mais qui m'a transformé. Un cinéaste comme Hawks a été pour moi un modèle en technique, quelqu'un qui maîtrisait tous les aspects techniques de ses films, même les pires. Dans un film fait du bout des doigts comme Hatari, il contrôle chaque séquence. Il n'a jamais négligé cet aspect du cinéma, parce qu'il n'a pas été obligé de travailler dans les conditions que Welles a connues. Welles est passé du sommet de son art aux déceptions de la fin de sa carrière, mais il a pourtant été capable de mettre toute cette émotion dans ce film. J'ai compris après avoir vu Falstaff à quel point il est important de raconter une histoire personnelle. Même si l'on échoue, comme ce film a échoué, ce qui compte, c'est d'avoir essayé. Jouer la sécurité ne vaut rien. Dans ma propre carrière, quand je « passais au travers en dormant debout » comme disait Robert Mitchum, j'étais mécontent des résultats, même si d'autres les appréciaient ; alors que ce sont souvent les films où j'ai mis le plus de moi-même qui n'ont pas vraiment plu aux autres. J'ai vu beaucoup de films qui ont les apparences de l'art, dans le scénario, l'interprétation, la technique, mais rien d'aussi personnel, rien qui m'ait aussi fortement marqué que Falstaff. »
John Carpenter
« Falstaff est le chef-d'œuvre de Welles, l'aboutissement le plus complet, le plus parfait de tout son travail depuis Citizen Kane, qui avait déjà lui-même marqué l'aboutissement d'une première période. Dans sa jeunesse, Welles avait été obsédé par le problème de la construction, et l'avait admirablement résolu en adoptant un style qui enfermait le héros, apparemment tout-puissant, dans une sorte de carcan d'ironie dont il était presque entièrement inconscient. Notre distance par rapport aux personnages ne pouvait guère être plus grande ; et cette mise à distance, même si elle était parfaitement adaptée au récit d'une omnipotence puérile, était peut-être la preuve de l'immaturité artistique de Welles ; mis dans l'obligation de se définir, ce dernier se forgea un style qui prouvait le caractère illusoire de toute définition. Dans Falstaff, le réalisateur a fondu son propre point de vue et celui de son héros, de sorte que l'émotion se transmet sans détour au spectateur. Le style du film, tout en étant aussi réfléchi et maitrisé que dans Citizen Kane, ne réclame plus toute notre attention. Rien ici qui corresponde au jeu de miroirs du premier film ; il y a bien la séquence de la bataille, l'une des plus grandes réussites de l'histoire du cinéma dans la réalisation d'une scène d'action, mais elle ne se présente pas comme un exercice de style, et le spectateur la ressent comme une irrésistible expérience physique. »
Joseph McBride, Orson Welles (Ed. Rivages/Cinéma)
« Grâce à des financements suisses et espagnols, Welles revient à Shakespeare avec un film qui reste peut-être, avec Citizen Kane, son œuvre maitresse : Falstaff (Chimes at Midnight, 1966). Cette adaptation littérale, si époustouflante que même les plus puristes shakespeariens n'y trouverons rien à redire, rassemble des scènes de « Richard II », de « Henry IV », de « Henry V » et des « Joyeuses Commères de Windsor », reliées par un commentaire empruntés aux « Chroniques » de l'historien élisabéthain Holinshed, pour créer une œuvre à part entière. Ainsi que l'avait bien senti Robert Brasillach, « Il y aurait dans « Henry IV » (1ere et 2eme parties) et « Henry V » de quoi tirer un merveilleux Falstaff pour Raimu ». Raimu, un des acteurs les plus admirés par Welles… La rencontre, certainement fortuite, est intéressante. On se demande si Truffaut se réfère à cette déclaration quand, après avoir rapporté le mot de Welles sacrant Raimu plus grand acteur du monde, il ajoute : « Cette phrase me revient en mémoire lorsque je vois ce Falstaff auquel Welles a donné une humanité pagnolesque. » Sans trahir la conception shakespearienne d'un Falstaff comique, Welles en a fait un personnage héroïque par son humour, sa générosité et sa bonté, et tragique par son incompréhension face à la morgue des grands et des puissants. »
Le Cinéma, (Editions Atlas)
« Shakespeare n'a jamais écrit Falstaff. Mais ce compagnon de débauche du jeune prince de Galles, bon vivant obèse, voleur et couard, apparait dans un drame en deux parties, Henri IV et dans Les joyeuses commères de Windsor. Welles en fait le héros des faiblesses de la vie, opposées aux rigueurs du pouvoir. Coproduction (évidemment) peu argentée, Falstaff est une illustration du génie de metteur en scène d'Orson Welles : la bataille de Shrewsbury est une pure réussite. Et une preuve supplémentaire de son génie d'acteur. Il est bedonnant, monstrueux, avec un nez d'alcoolique. Mais on sent, dans cette énorme carcasse, battre un cœur, brisé par le fils qu'il s'était choisi, ce jeune prince, soudain avide de pouvoir, qui le sacrifie à la raison d'Etat. »
Télérama
« Tirant les leçons d'Othello et du Procès, Welles invente en Espagne un nouveau puzzle spatial, tournant les fragments d'une même scène à des mois d'intervalle, dans des lieux divers, en privilégiant la rapidité d'exécution et l'enthousiasme plutôt que la cohérence des raccords. Il laisse une part de création à un chef opérateur et à un compositeur avec lesquels il a déjà travaillé ainsi qu'à ses comédiens virtuoses, mais il dicte sa loi à une équipe espagnole fluctuante et ne délègue rien de ce qui concerne les décors, les costumes ou le montage. Un film historique simulant la richesse à l'écran est fabriqué en petit comité, presque comme une affaire de famille. »
Orson Welles au Travail, Jean-Pierre Berthomé & François Thomas (Ed. Cahiers du Cinéma)
« Welles donne au personnage de Falstaff, figure pittoresque de cinq pièces de Shakespeare, bouffon et débauché, un relief qu'il n'avait pas chez Shakespeare, auquel Welles reste pourtant fidèle au moins dans l'esprit. De Falstaff qu'il interprète, Welles dira : « C'est le personnage dans lequel je crois le plus, l'homme le plus entièrement bon de tous les drames. » Dernier grand film de Welles ! »
Jean Tulard, Le Guide des Films
« Tout au long du film, même dans les moments de « répit », la force de la destruction s'impose à la conscience des personnages. Falstaff essaie de refouler cette conscience, et ce sont ses diverses tentatives pour l'ignorer qui fournissent les éléments comiques du film. Il n'a pas la perfidie de Kane, ni son aisance en société, et sa grandeur parait une monstrueuse plaisanterie qu'il est impossible d'ignorer mais facile d'écarter. Il n'exige que de l'attention de celui à qui il se donne entièrement en retour. Son égocentrisme, à l'image de son corps, transcende le ridicule pour atteindre au sublime, et jusqu'à la mélancolie. Il ne craint que la mort, et adresse à Dolly Beaux Draps ce reproche : « Tu m'oublieras quand je ne serais plus de ce monde. » Il est peu probable qu'Orson Welles, soit en tant qu'acteur, soit en tant que réalisateur, réussisse un jour une scène aussi émouvante que celle du renvoi de Falstaff. Il nous permet lui-même de nous juger supérieurs à Kane ; mais jamais nous ne sommes supérieurs à Falstaff. Il se met à nu devant nous. Et Falstaff est le testament de Welles. »
Joseph McBride, Orson Welles (Ed. Rivages/Cinéma)
Les acteurs
Orson Welles | Jack Falstaff |
Keith Baxter | le prince Hal / Henry V |
John Gielgud | Henry IV |
Jeanne Moreau | Doll Tearsheet |
Margaret Rutherford | Mistress Quickly |
Marina Vlady | Kate Percy, Lady Hotspur |
Alan Webb | Justice Shallow |
Walter Chiari | Monsieur Silence |
Réalisation | Orson Welles |
Producteurs | Internacional Films Esrolano |
Scénario | Orson Welles (Raphael Holinshed, Shakespeare) |
Photographie | Edmond Richard |
Musique | Angelo Francesco Lavagnino |
Montage | Mariano Erdoiza |
Décors | José Antonio de la Guerra |
Distribution | FILMS SANS FRONTIERES |
Durée | 115 min |